Le sol vibrait férocement sous les a-coups de la voie de chemin de fer, tandis que le train filait, lancé comme une balle à travers les campagnes. Océane se glissa dans la minuscule cabine abritant les toilettes et un vieux lavabo décrépi, faisant un instant face à son reflet, dans le petit miroir. Des traits tirés mais aussi plus durs, des cernes marquant son visage, un sourire qui avait disparu depuis des jours, elle ne se reconnaissait plus elle-même. Levant une main, elle la posa doucement contre sa joue, remontant lentement vers ses yeux noirs, bridés, désormais aussi secs que le désert. Des yeux où brillaient une lueur nouvelle, exemptée maintenant des dernières traces d’innocence l’ayant portée jusque là. Des dernières traces d’optimisme, également. Elle retira sa main pour la poser contre le miroir, comme cherchant à se réapproprier ce qu’elle voyait, intégrer que cette fille qu’elle voyait en ce reflet était bien elle. Qu’elle était encore bien vivante, contrairement à tant d’autres, et qu’il fallait bien continuer à agir. Le monde ne pouvait pas s’arrêter de tourner, malgré tout ce qui pouvait arriver et arrivera encore.
La brutalité du combat puis la perte, si violente et soudaine, de sa mère, sur le champ de bataille, avaient été deux grands chocs. Elle en était restée profondément marquée et son comportement avait ensuite changé sans même qu’elle ne réalise. Lors de son bref passage à l’orphelinat, nouvelle terre d’accueil pour les civils, elle n’était restée qu’une journée à peine avant de contacter son chef d’unité et repartir. Les paroles de réconfort dont on avait voulu la bercer à son retour l’avaient rendue presque malade. Elle avait sentie que si elle restait là, à tenter de mener une vie « normale », se cacher et rester à pleurer, alors qu’elle n’était pas blessée, allait la rendre folle, purement et simplement. Elle n’avait pas besoin de se reposer comme elle s’en était sortie sans gros dommages et refusait de juste être assise dans un coin pendant qu’on tentait de la réconforter. Parce qu’aucune parole ne pourra lui rendre sa mère. Aucune parole de réconfort ne pourra aider à sortir ce pays du merdier dans lequel il était. Ce n’était pas encore le moment de s’arrêter et pleurer.
Retour dans la cabine de voyage, avec ses collègues de mission. Une fois assise près de la fenêtre, dans un coin de la banquette, elle croisa les bras contre elle puis laissa son regard dériver sur le paysage qui défilait. Toujours plus loin vers l’Est, une des zones les plus dangereuses de tout le pays, ces derniers temps. Beaucoup d’opérations y avaient lieu, beaucoup de combats s’y étaient déjà déclenchés, l’armée avait déployé une partie de ses forces dans la région, les contrôles étaient nombreux. Il y avait encore eu quelques émeutes, récemment, malgré la dure répression dont toute la région avait été frappée. Océane croisa le regard de Gilles, son confrère, assis juste en face, qui lui adressa un petit sourire. Il se tenait d’une façon plus tranquille et sereine qu’elle-même, affichant une assurance solide malgré son âge finalement bien jeune, il n’avait qu’à peine trente ans, et un engagement dans les forces de la Résistance qui datait d’un mois tout juste. Il ne parla pas, pas plus qu’elle ou les autres, patientant simplement…
Bientôt, le train ralentit, entrant dans les faubourgs de Strasbourg. Océane pinça un peu les lèvres, rajustant mécaniquement sa tenue puis vérifiant une nouvelle fois que les armes cachées sur elle étaient faciles à saisir. Les y voilà, de nouveau, en plein cœur de l’action.
Sujet: [Mission] Sabotage à Strasbourg