Grappin de Vent

Le réveil se faisait à 5h30 du matin tous les jours. Le coucher, lui, se faisait à 21h pour les plus jeunes, 22h au maximum pour les plus âgés. Même une fois habitué, il y a des matins où c’était assez dur. Ils avaient une demie-heure pour se laver, s’habiller et se préparer, une autre pour déjeuner, avant que la journée ne débute pour de bon. Chaque matin, ils commençaient par une heure dans les salles d’études et bibliothèques, pour les lectures matinales. Les cours de la veille, d’autres leçons plus anciennes, quelques lectures attachées au Temple, parfois, et leurs mentors. Se rafraîchir ensuite l’esprit dès le matin était très important et permettait de débuter la journée sur de bonnes bases. Habitude de plusieurs années ou non, le matin, pour Shingen, c’était dur. Il n’était pas un lève-tôt et le faire depuis pratiquement sa naissance ne l’avait pas habitué. Depuis le début des lectures du matin, il piquait régulièrement du nez sur ses leçons et se secouait quand leur mentor, en charge de cette salle, lui jetait un regard noir.

Il lui fallut bien l’heure tout entière pour se réveiller complètement et enfin ouvrir en entier les yeux. Au-dehors, le jour n’était pas encore levé, même si le printemps approchait, les jours étaient encore assez courts, les matins très frais. Pas qu’ils risquaient d’avoir très froid avec leurs uniformes, de toute façon. Le tissu était assez particulier, traité pour être à la fois très résistant et chaud. Il fallait bien ça pour survivre aux longs entraînements sans terminer dans un état lamentable. Le vêtement résistait au feu, ignifugé, et leur bandeau frontal était fait de la même matière. Il rangea ses affaires avec soin dès la fin de l’heure, puis se rendit dans une des salles d’entraînements. Une très grande pièce, à moitié ouverte sur l’extérieure, plutôt une sorte de large préau, finalement. Les lumières procuraient une ambiance assez douce, contrastant avec la violence de certains entraînements. Le vent, pratiqué ici, n’était pas l’élément le plus doux, c’est le moins qu’on puisse dire.

Depuis quelques jours, il avait débuté l’apprentissage du grappin de vent. Une technique consistant à créer une arme de vent pour agripper une personne ou un objet et la tirer vers soi, plus ou moins fortement. Ce système permettait à la fois de piéger la cible et de l’obliger à approcher, à moins qu’on ne veuille juste la faire chuter. Utile à faible niveau pour attraper un objet au loin si on ne veut pas, ou qu’on ne peut pas, s’en approcher, et utile à plus fort niveau pour piéger un voleur, par exemple, ou pour tirer une personne hors de portée d’un danger imminent. Shingen fit un petit signe, en entrant dans la salle, à Sengoku, avant de le rejoindre. Il était prêt à parier qu’il était déjà arrivé depuis un moment ! Son frère ne savait juste pas s’arrêter ou se reposer. Il sourit un peu en réalisant qu’il l’appelait un frère, naturellement, alors qu’aucun lien de sang ne les reliaient. Bah, ils étaient tous frères et sœurs, entre eux, c’était normal d’être proches les uns des autres.

"Déjà sur place à travailler," sourit-il en le rejoignant, "J’aurai dû m’en douter. On est samedi, tu sais, tu as le droit de relâcher un peu la pression ce jour-là."

Ils avaient moins de cours et d’entraînements le samedi et rien le dimanche, c’était comme ça. Le samedi servait d’ordinaire pour certains cours théoriques particuliers, comme les cours de langue ou d’art, et un peu d’entraînements. Le dimanche, lui, était complètement libre. Ils en profitaient généralement pour aller se promener ou se reposer.

Allons donc, un petit drame dès le matin. Sengoku s’agenouilla sur le parquet pour embrasser sur le front le petit de sept ans qui venait de se faire mal en tombant dans l’escalier puis lui frotta un peu ses vêtements et le bout des mains, en lui disant que tout allait bien, il ne s’était pas blessé et c’était l’essentiel ! Il lui rappela gentiment qu’il était interdit de courir dans les couloirs et qu’il devait faire un peu plus attention, pour ne pas se faire mal. Le petit renifla en hochant la tête, puis s’essuya les yeux avec sa manche. C’était terminé, le gros chagrin ? Le jeune homme se releva puis le poussa un peu vers ses amis en lui disant de filer, ils avaient cours, maintenant, allez hop ! Il les regarda s’éloigner dans le couloir, puis repartit lui-même, pour rejoindre la première salle d’entraînement du matin. En entrant, il salua respectueusement leurs mentors, occupés à allumer les lumières, puis se dirigea vers le fond de la salle.

C’était un entraînement assez difficile, pour une technique très utile, certes, mais demandant beaucoup de doigté et d’entraînement. Sengoku adorait les défis et adorait donc encore plus les exercices lorsqu’ils étaient difficiles. Et surtout, c’était bien mieux que les cours théoriques ! Il débuta par un petit échauffement, puis se plaça sur l’un des marquages au sol, prévu pour les débutants et donc avec des distances très raisonnables de leurs cibles. Première étape, la concentration, pour accumuler le vent dans la main et lui donner la forme voulu. Il était occupé depuis quelques minutes quand un nouveau groupe entra dans la salle en bavardant et qu’il vit Shingen lui faire signe de loin. Sengoku lui rendit son salut d’un sourire, ne bougeant pas de sa position, en attendant qu’il vienne le rejoindre. Son pouvoir lui picotait entre les doigts, il sentait la pression augmenter contre l’intérieur de sa paume, ouverte vers lui.

Déjà sur place à travailler, sourit-il. J’aurai dû m’en douter. On est samedi, tu sais, tu as le droit de relâcher un peu la pression ce jour-là.

Eh bien, je relâcherai la pression demain, c’est déjà prévu.

Désormais, en cours ou en entraînements, Sengoku avait acquis la réputation d’être l’un des plus sérieux et des plus rigoureux. Ça lui avait pris du temps, avant d’en arriver là, mais ça y est, il parvenait sans plus de peine à se discipliner lui-même. Et dans certains cas, à devoir même discipliner les autres. Même s’il recevait, bien sûr, toujours des punitions de temps en temps, cela n’avait plus rien à voir avec ce qu’il avait connu il y a seulement deux ou trois ans. Regard baissé vers sa main, il forma une boule d’air compact entre ses doigts à demi repliés, puis usa de son autre main pour donner la forme qu’il voulait. Lentement, encore… Leurs maîtres arrivaient à faire cela avec une seule main et en quelques secondes, mais lui n’en était pas rendu à ce stade. Relevant le regard vers les cibles, il leva doucement la main, concentré et tenta alors de projeter son don en un coup sec.

Toute la difficulté résidait à modifier, au dernier moment, son don pour former une sorte de main de vent et se saisir de la cible avec, assez fort pour l’agripper, assez faible pour ne pas juste la broyer ou l’envoyer valser au loin sans l’avoir. Sa cible, un simple morceau de bois posé au sol à trois mètres de lui, fut frappé par son pouvoir mais Sengoku rata la modification pour l’attraper et le bout de bois fut projeté contre le mur derrière, dans un petit rebond. Mmh… Il avait demandé à leurs maîtres pourquoi ils ne pouvaient pas juste directement créer un grappin de vent et le projeter sur la cible, plutôt que faire ça, et ils leur avaient répondu qu’un adversaire expérimenté saurait le reconnaître et le contrer. Alors que modifier son pouvoir au dernier instant permettait de conserver l’effet de surprise.

Il alla rapidement remettre sa cible en place, puis vint se repositionner, prêt à renouveler l’exercice.

Qu’as-tu prévu, pour demain ? lança-t-il comme si rien n’avait interrompu la conversation.

"Eh bien, je relâcherai la pression demain, c’est déjà prévu."

"Aaah, comment peux-tu être si sérieux…"

Bras derrière la tête, mains contre la nuque, il fit une moue puis regarda un moment son ami former une boule de vent compacte dans sa main, avant d’être lui-même rappelé à l’ordre par un de leurs mentors. D’accord, d’accord ! Il savait qu’il n’était pas ici pour faire n’importe quoi ! Ils ‘écarta un peu de son ami, pour se mettre face à une des cibles lui aussi, puis ensuite à lever un peu les mains, à hauteur de taille, pour convoquer son pouvoir et lui donner forme. C’était toujours une sensation plaisante lorsqu’il invoquait son don et le sentait grandir en lui, comme un animal qu’il venait de réveiller qui s’étirait en tous sens ! Puis qui grondait, sortait les griffes, et était ensuite tout prêt à bondir sur sa proie en un temps record. Une sensation que Shingen avait toujours aimé plus que tout, pour le frisson d’excitation que ça lui procurait et la montée d’adrénaline allant avec. C’est comme si tout devenait possible, d’un seul coup !

Reculant d’un pas, il prit position, une grande inspiration, puis pointa le regard vers sa cible. Brusquement, sans doute trop d’ailleurs, il projeta le vent, paume grande ouverte et bien droite, vers la cible. Son pouvoir fusa, et au dernier instant, il fit trois mouvement secs des doigts pour former une main invisible qui agrippa le morceau de bois. Aussitôt, sans une seconde de délai, il retira le courant vers lui dans un autre mouvement sec. Le bout de bois vola vers lui et vint retomber s=à ses pieds en petits rebonds. Tout heureux d’avoir réussi, il se retourna joyeusement vers Sengoku, prêt à lui partager ça, puis s’arrêta, un peu surpris, en voyant que lui n’avait pas réussi et recommençait déjà. Eh, c’était lui, le petit génie de la bande, normalement ! Shingen se pencha pour ramasser le morceau de bois et aller le remettre à sa place, avant de reprendre position. Ce n’était pas souvent qu’il réussissait les exercices du premier coup, dans ce nouveau programme, car les techniques qu’on leur fourrait dans le crâne exigeaient toute une maîtrise très fine. Mais il était très loin de maîtriser vraiment celle-ci.

"Qu’as-tu prévu, pour demain ?"

"On a une sortie au village, prévue demain matin ! Les jumeaux veulent acheter un cadeau d’anniversaire pour leur mère, au marché, et moi, j’ai envie de me promener. Peut-être trouver quelque chose pour ma mère aussi."

Enfin, s’il y arrivait ! Il avait envie de lui faire plaisir, mais sa mère était plutôt difficile à satisfaire, il devait bien l’admettre. Elle n’aimait pas les bijoux, ni les châles, lisait peu et ne jouait pas d’un instrument. Ses plaisirs étaient de méditer seule ou de discuter avec ses proches autour d’un thé. Tout en discutant, il rassemblait le vent entre ses doigts pour l’essai suivant, sans lâcher son sourire pour autant.

"L’après-midi, je ne sais pas encore vraiment. Sans doute lire tranquillement à la bibliothèque ou bien aller me promener dans les collines. Et toi ?"

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Dé de pouvoir : 5
Réussite ou échec : réussite

On a une sortie au village, prévue demain matin ! Les jumeaux veulent acheter un cadeau d’anniversaire pour leur mère, au marché, et moi, j’ai envie de me promener. Peut-être trouver quelque chose pour ma mère aussi.

Eh bien… Bon courage.

Sengoku connaissait sa mère et se doutait déjà que le pauvre Shingen allait passer au bas mot une bonne heure ne serait-ce que pour trouver des pistes de cadeaux, pouvant plaire à sa mère. Évidemment, il n’en avait jamais parlé à son ami, mais il trouvait sa mère très… Mmh… Assez froide, pour dire ça assez poliment, du moins, le plus poliment possible. Lorsqu’il la croisait, elle disait bonjour, elle était courtoise, mais ne souriait jamais, parlait très peu et donnait le sentiment de ne s’intéresser à personne. Ce n’était pas une personne qui donnait envie de beaucoup la côtoyer ou passer du temps avec elle. Il trouvait ça triste pour Shingen… L’ironie du sort voulait que ce derniers oit triste pour lui car il n’avait pas connu sa mère du tout. Mais qu’est-ce qui était le pire, avoir une mère très distante et glaciale ou bien ne pas avoir eu de mère du tout ? C’était une question assez épineuse…

Il ne désespérait pas, par contre, de retrouver la sienne un jour et qui demander pourquoi elle était partie tout à coup. Pourquoi elle avait décidé de les laisser, ses propres garçons, derrière elle. Il se demandait avec qui et où elle vivait aujourd’hui, si elle avait d’autres enfants, si elle était plus heureuse avec un autre foyer et pourquoi, et s’il pouvait malgré tout tenter de renouer des liens avec elle. Enfin… Il chassa ces pensées pour le moment, ils étaient en plein entraînement, pas le bon temps pour réfléchir aux relations familiales. Pressant le vent entre ses mains, il tenta d’en accumuler une plus faible pression, cette fois, car il avait été trop brutal à son premier essai. Et sans doute trop tendu. Fermeté et douceur à la fois, voilà où était la clé pour maîtriser ce pouvoir.

L’après-midi, je ne sais pas encore vraiment. Sans doute lire tranquillement à la bibliothèque ou bien aller me promener dans les collines. Et toi ?

Je vais aller aux sources d’Efan avec des amis. On va sans doute y passer la journée. Haiko sera là, et puis, il y aura Genji, il est revenu au japon il y a… Heu… Une ou deux semaines, je crois, je ne sais pas trop. Puis il y aura sa cousine Française. Il m’a dit qu’elle avait été envoyée ici avec lui pour échapper à la guerre civile en France.

Tous deux savaient à la fois très peu de choses sur la France et sur le conflit y faisant rage ces derniers temps. C’était si loin ! Peu d’infos sur l’international était disponible, les journaux nationaux ne relataient que les plus gros événements, en ce qui concernait l’étranger, et encore, ça restait très succinct. Ils avaient su, finalement, il y a à peine trois ou quatre mois ce qui se passait vraiment dans ce pays et les nouvelles fraîches étaient rares. De toute manière, ce qui se passait sur les autres continents n’avaient généralement aucun impact sur leur pays, ce n’était pas étonnant que les journaux ne s’en préoccupent pas vraiment. Sengoku avait quand même appris quelques mots en Français, par cœur, en prévision de demain. Il savait dire bonjour, au revoir, merci, et comment vas-tu. Avec un accent qu’il espérait compréhensible aux oreilles d’une Européenne.

A nouveau, il prit position, puis lança son pouvoir avec vivacité. Et cette fois-ci, parvint à contrôler la forme, la vitesse et la force, pour attraper le morceau de bois et le ramener vers lui sans le détruire ou le perdre. Il réussit même à le rattraper en plein vol quand il arriva sur lui, laissant s’estomper son don au même moment, un très large sourire aux lèvres. Compris comment faire, maintenant, s’exercer jusqu’à parfaitement maîtriser ça à chaque coup et s’attaquer à des cibles plus grosses, plus lourdes, puis des cibles en mouvement ! Un bout de bois léger et immobile, c’était la partie facile, pour cette technique, ils étaient encore loin d’arriver au bout. Tout autour d’eux, l’agitation allait bon train. Leurs professeurs passaient doucement entre les rangs, corrigeant parfois certaines postures ou donnant leurs conseils. Sengoku grimaça en voyant maître Hen passer tout à coup les portes de la salle, détournant aussitôt le regard vers les cibles.

Rabat-Joie est entré, murmura-t-il tout bas. Les petits disent qu’il ne cesse de fondre sur tout le monde comme un corbeau, en ce moment.

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Dé de pouvoir : 4

Le jeune homme voyait à peu près qui était Genji, il n’avait pas trop traîné avec lui et ils n’étaient pas spécialement proches. Par contre, Sen lui avait dit qu’il était parti en France il y a… Heu… Quelques mois ? C’était ça ? Enfin, peu importe, là, puisqu’il était revenu. S’ils allaient aux sources avec la cousine de Genji, ils seront obligés de garder leurs serviettes, elle ne devait pas avoir l’habitude de se baigner nue, surtout avec des garçons. Bah, dans tous les cas, c’était des plus sympathiques, comme programme, qui pourrait refuser d’aller se baigner dans des sources chaudes ? C’était plus sympathique sue son propre programme du lendemain. En attendant tout ça, ils avaient encore une longue journée de travail devant eux… Rah là, il n’était toujours pas très motivé, ce matin. Il y avait des jours, comme celui-ci, où il aurait adoré rester au lit une bonne heure de plus. Voire y rester tout court, avec un bon livre entre les mains, en pyjama toute la journée, cheveux détachés, tranquillement.

Hélas, il fallait se motiver tous les matins, même quand on voulait traîner un peu. C’est sur cette pensée et un petit soupir qu’il répéta encore et encore les bons gestes, puis les exercices, toujours sur cette cible somme toute facile d’accès. Ça avait beau être la même chose, pour ce premier exercice, il ne réussissait pas encore à chaque coup. La première base d’une technique était toujours la plus difficile, comme répétait souvent leur formateur. Ils étaient six, ce matin, à s’entraîner sur ça. Les autres étaient aussi répartis en petits groupes comme le leur, chacun travaillant sur un sujet différent. Cette salle était réservée pour les entraînements « de peu d’ampleur », ceux en gros, ils ne risquaient pas de casser quelque chose ou de blesser quelqu’un. Sinon, pour les techniques plus dangereuses ou importantes, ils avaient l’obligation de s’y exercer dehors. Et ça peu importe le temps qu’il faisait. L.e temple possédait des terrains spécifiquement pour les techniques plus houleuses de vent et de feu, tout autour de ses bâtiments.

"Rabat-Joie est entré," murmura-t-il tout bas. " Les petits disent qu’il ne cesse de fondre sur tout le monde comme un corbeau, en ce moment."

Shingen dû user de toute sa volonté pour ne pas juste se retourner et jeter un regard vers l’entrée. Il savait de qui son ami parlait et n’avait pas envie d’attirer son attention. Cet homme lui faisait un peu peur, pour être honnête… Il était le mentir le plus strict, aussi, et ce n’était pas peu dire, dans ce temple ! Durant ses cours, tout le monde se tenait à carreau. Ainsi, il redoubla d’effort pour l’exercice en cours et cessa, pour un moment, de discuter avec Sengoku. Ils entendaient la voix très grave du maître, dans toute la salle, alors qu’il passait d’un groupe à l’autre, avec des remarques plus ou moins sèches. Il avançait dans leur direction, fatalement. Hmph… Il n’aimait pas ça. Il s’était déjà écoulé une bonne heure de plus, depuis qu’il était entré dans cette salle, et il prenait très au sérieux le travail de chacun. Un samedi, pourtant, il ne pouvait pas se détendre un peu, comme tout le monde ?

Quand le maître arriva à sa hauteur, Shingen était devenu très nerveux. Depuis le temps qu’ils étaient ici, ils n’avait réussi l’exercice qu’une seule fois, la toute première, et depuis, il enchaînait les échecs. Il avait peur de se faire réprimander pour ça, surtout en sentant le regard lourd du rabat-joie dans son dos. Ce dernier s’avança plus soudainement et lui attrapa le poignée fermement, avant de le tirer un peu en arrière et l’obliger à prendre une autre posture. Très surpris par l’interruption soudaine, il suivit le mouvement sans opposer la moindre résistance, sans même indiquer à leur professeur qu’il lui serrait trop fort le poignet et lui faisait un peu mal. L’aîné lui indiqua d’un ton sec, mais sans colère ou agacement, de reprendre en tenant cette posture, cette fois-ci. Le jeune homme obéit aussitôt, bien évidemment. Concentré, même s’il était nerveux, il renouvela l’essai, et cette fois-ci, réussit parfaitement à maîtriser son pouvoir. Derrière lui, bras croisés, maître Hen hocha la tête d’un air satisfait.

"Tiens ta posture et reste concentré."

"Très bien."

Tant que leur mentor se trouvait là, il n’osait toujours pas discuter librement avec Sengoku. Attendre qu’il s’éloigne, ou plutôt qu’il soit partis, ce sera bien mieux. Il ne voulait pas chercher bêtement les ennuis avec ce professeur-là, connaissant trop bien les limites de sa patience.

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Résultats des 2ères heures : 20 ; Humeur du maître : 6 ; Essais suivants : 1

Le silence s’était imposé naturellement entre deux, dès l’entrée de maître Hen dans la salle, car l’un comme l’autre savaient très bien qu’ils pourraient vite se faire réprimander, s‘ils discutaient trop au lieu de se concentrer sur leur entraînement. Ils avaient déjà eu bien assez de problèmes, avec ce professeur-là, pour vouloir le provoquer. Aussi, Sengoku se focalisa entièrement sur l’exercice à accomplir et sur la maîtrise de son pouvoir. Dans un tel environnement, il pouvait se permettre d’oublier ce qui l’entourait et se concentrer seulement sur la cible, une facilité et une tranquillité d’esprit impossibles à obtenir une fois sur le terrain. Il était d’autant plus reconnaissant d’avoir cette place pour les entraînements, de ne pas être obligé de tout apprendre sur le tas, directement en mission ! Certains ne réalisaient pas à quel point disposer d’un environnement calme et sécurisé pour s’exercer était un don on ne peut plus précieux.

Le vent glissait entre ses doigts, puis contre les paumes, un souffle à la fois dur et léger, qu’il attrapait et modelait, à sa volonté, pour en faire l’arme dont il avait besoin. Il fallait de la concentration pour convoquer et maîtriser le vent, il était volage, vif, parfois insaisissable, et bien souvent, dangereux. Par son imprévisibilité et surtout sa force. Un don qui pulsait en lui comme un second cœur, avec ténacité. Sengoku avait pris l’habitude de respirer au même rythme qu’il sentait son don pulser dans son corps tout entier, car cela lui offrait plus de clarté d’esprit et une meilleure sensation de son élément. Il avait le sentiment de mieux le cerner et donc de l’invoquer, de le maîtriser. Peut-être n’était-ce qu’une illusion… Il n’en savait rien, se contentant de suivre son instinct à ce sujet et écouter les signaux renvoyés par son corps et son pouvoir. C’était ce qui comptait le plus, pour arriver à la maîtrise.

Apprendre une technique, c’était avant tout répéter, encore et encore, les mêmes gestes, jusqu’à en avoir la nausée. Intégrer une posture, mémoriser les gestes et les placements, doser le niveau de concentration et de pouvoir, et recommencer. Des dizaines de fois. Des centaines de fois s’il le fallait. A ce petit jeu, Sengoku avait des petites astuces mentales pour rester concentré sur le long terme. Il s’oubliait lui-même, pour se focaliser entièrement sur les ressentis envoyés par son pouvoir, et ne se préoccupaient plus que de ça. Même l’arrivée de maître Hen à leur hauteur, et la manière dont il interrompit un peu sèchement Shingen pour lui faire adopter une autre posture, ne le déconcentra pas plus que ça. Faire un avec son pouvoir, voilà où était le secret et le plus important. Recommencer chaque geste jusqu’à l’écœurement. Ou jusqu’à être si fatigué qu’il vous fallait stopper les cours physiques et ne vous concentrer que sur la théorie durant deux ou trois heures.

Tiens ta posture et reste concentré.

Très bien.

Leur mentor resta ensuite un moment près de leur duo, avant de passer vers les autres apprentis. Sengoku, plongé complètement dans son exercice depuis plus d’une heure, n’y prêta pas spécialement attention. Il recommença, encore et encore, durant encore plus de deux heures. Lorsqu’il stoppa, l’horloge de la salle affichait 10h50, et un grand soleil avait depuis longtemps envahit les lieux. Les élèves se dispersaient doucement, beaucoup avaient un cours juste ensuite, d’autres rejoignaient la bibliothèque, les salles d’étude, ou simplement les extérieurs, pour lire ou se détendre un peu. Le samedi, il y avait moins de cours ou d’entraînements que les autres jours, malgré tout, personne ici n’avait vraiment l’habitude de relâcher complètement la pression. Sengoku s’étira longuement, en sortant de la salle avec Shingen, un peu courbaturé. Debout depuis 5h30, après une heure pour se préparer et manger, une heure de lectures matinales, et trois heures et quelques d’entraînements, une certaine fatigue lui pesait déjà sur les épaules. Alors qu’il n’était pas encore midi.

Shingen, tu as cours, maintenant ? Ou est-ce qu’on peut aller un peu dehors ?

Il espérait qu’il lui dise oui, ressentant un furieux besoin de prendre un peu l’air et n’ayant pas envie de rester seul.

Deux heures autres d’entraînement plus tard, la seule envie de Shingen était de brûler ce fichu bout de bois qui leur servait pour l’exercice. Maaarre ! Pourquoi les premières phases d’entraînement, pour n’importe quelle technique, étaient toujours les plus pénibles ?! Il s’étira comme un petit chat le ferait, comme Sen d’ailleurs, puis il le suivit dehors. Décidément, il ne sera jamais du matin, après un mal fou à se réveiller assez pour supporter la première heure de lecture et de révisions, il avait encore plus de mal à se mettre dans le bain pour les exercices suivants. Surtout qu’il ne s’agissait jamais de petites sessions. Les novices se dispersaient en bavardant doucement, entre eux, sans crier ou parler trop fort bien entendu, encore moins courir, c’était interdit. Shingen songea avec ironie, à ce moment, qu’il vaudrait mieux, pour les nouveaux, faire une liste de ce qui était autorisé, dans l’enceinte, ça irait tellement plus vite ! Hé hé, heureusement que personne ne pouvait entendre ses pensées.

De toute manière, il râlait beaucoup, c’était dans son caractère, mais il ne détestait pas sa vie malgré tout. Il avait des tas de frères et sœurs, s’amusait avec eux dès que possible, il pouvait sortir en mission, et surtout, il y avait tout de même une grande satisfaction à constater ses progrès, jour après jour, dans la maîtrise du vent et du feu. Même s’il aimait bien se plaindre sur tel ou tel point, dans le fond, c’était un cadre qui lui plaisait. Il ne connaissait rien d’autre et n‘envisageait pas sa vie sur une autre voie que celle-ci. Il y avait quelque chose de très palpitant, quand ils parcouraient le pays pour régler divers problèmes liés aux éléments. Bien, maintenant que ce cours-là était terminé, il pourrait aller réviser un peu à la bibliothèque… ou plutôt aller se reposer dans un coin en attendant l’heure du déjeuner. C’était samedi, après tout ! Ils avaient déjà beaucoup de cours tous les autres jours de la semaine et les exercices de ce matin l’avaient fatigué.

"Shingen, tu as cours, maintenant ? Ou est-ce qu’on peut aller un peu dehors ?"

"Ah… Bien sûr qu’on peut aller dehors !"

Incroyable, son ami voulait bien se détendre, plutôt que de foncer la tête la première dans des livres pour le travail ! Miracle ! Dans sa joie, il le saisit par le poignet au passage et le tira vivement avec lui dans le couloir d’à côté, juste à temps, pour échapper au regard inquisiteur de maître Hen, qui sortait à son tour de la salle. Shingen lâcha son comparse au bout de quelques mètres, après avoir traversé plusieurs couloirs et longé des salles occupées, avant d’atteindre l’extérieur. Le temple était niché dans les collines et occupait un très vaste domaine, dont une bonne partie était consacrée aux exercices extérieurs. Ils vivaient au milieu de la nature, littéralement, et c’était ça qui émerveillait souvent les nouveaux venus. Ils s’éloignèrent des bâtiments principaux, par un petit chemin pavé de pierres blanches, avant de s’enfoncer dans un escalier léger, lui aussi en pierre, sous les ramures des sapins.

"Tu as entendu parler les aînés des problèmes près de Shiba ? Tu sais ce qui se passe, exactement ? Mon père n’a rien voulu m’expliquer mais je vois bien qu’il est inquiet. Je lui ai demandé si c’était encore en rapport avec le feu, il m’a juste répondu que je n’avais pas à m’en mêler tant que je n’étais pas missionné dessus. Comme si on ne devait pas suivre ce genre de situation. Tu en sais plus ?"

Shingen l’attrapa tout à coup vivement par le poignet puis le tira avec lui dans un couloir voisin. Surpris par le geste soudain, Sengoku perdit à moitié l’équilibre avant de se reprendre et de pouvoir suivre, à moitié amusé, à moitié blasé. Il venait de briser pas moins de trois règles à la fois en moins de dix secondes ! Son ami finit par le relâcher et ils marchèrent plus tranquillement, sans doute car ils devaient passer près de classes bien remplies et que ce n’était pas le bon lieu où se faire remarquer. Ah là là, Shingen, franchement… Il était toujours comme ça, très expressif, alors même qu’il vivait ici depuis sa naissance, littéralement ! Comme quoi, on ne pouvait pas changer certains traits de caractère. Au-dehors, l’air était doux, pour la saison, et ils étaient protégés du vent par les hauts chênes et sapins les encerclant. Ils s’éloignèrent sur les chemins pavés de pierre, trouvant très vite un calme des plus absolus.

Il y avait quelque chose de très apaisant et de reposant, à marcher ainsi sur des sentiers tranquilles, en entendant l’écho des cours d’eau traversant le domaine, ainsi que le vent souffler dans les hautes ramures des sapins. Assez pour que la fatigue s’envole, les laissant dans un bon état d’esprit. Quand il voyait ça, il ne regrettait pas du tout son choix d’avoir voulu rester et il aimerait que bien d’autres personnes ressentent cette même paix. Même Shingen s’était calmé ! Petit exploit. Depuis ces hauteurs, ils pouvaient voir deux ou trois villages, à l’horizon. Magunoria le premier, évidemment, il était à un kilomètre à peine du temple. C’était là-bas qu’ils se rendaient, principalement, pour des moments de détente. Voir une pièce de théâtre ou un spectacle, visiter le marché ou simplement se promener. Il y avait quelques amis d’enfance. La plupart d’entre eux travaillaient dans les commerces de la ville ou bien prenaient chaque jour le train pour partir travailler en ville.

Tu as entendu parler les aînés des problèmes près de Shiba ? Tu sais ce qui se passe, exactement ? Mon père n’a rien voulu m’expliquer mais je vois bien qu’il est inquiet. Je lui ai demandé si c’était encore en rapport avec le feu, il m’a juste répondu que je n’avais pas à m’en mêler tant que je n’étais pas missionné dessus. Comme si on ne devait pas suivre ce genre de situation. Tu en sais plus ?

Pas vraiment… Les rumeurs parlent d’un cas de dérèglement. Un pyromancien se serait laissé dévorer par son propre pouvoir et aurait perdu son esprit. Je sais que des champs et des fermes ont été dévorés par le feu, mais je ne crois pas que le type a pu être arrêté. Ni c’est vraiment son don entier qui contrôle son corps ou s’il s’agit d’un simple pyromane. Un criminel. Dans les deux cas, personne n’a encore mis la main dessus. Il est capable de mettre le feu depuis une longue distance, c’est presque impossible de savoir où il se tient, au moment où l’incendie se déclenche.

Plusieurs pyromanciens avaient déjà tenté de justifier leurs actes criminels en déclarant qu’ils avaient été possédés par leur propre pouvoir et qu’ils ne pouvaient rien contrôler ou empêcher. Une excuse facile à balayer, car lorsqu’un don envahissait complètement l’esprit de son porteur et le dévorait, la personne n’était ensuite plus capable de dire quoi que ce soit, encore mois tenter de se défendre ou de parler. On avait face à un soit une possession pure et dure, un être où aucune âme ne subsistait, il ne restait plus qu’un immense pouvoir, habitant un corps où il avait longtemps été hébergé, avant d’en prendre le contrôle. On appelait ça un dérèglement. Un cas où le don dévorait littéralement l’esprit et l’âme de son porteur. Ce dernier, finalement, était comme mort, car il ne restait que son corps et son pouvoir. Le feu était très souvent le don mis en cause, dans les dérèglements.

J’ai le sentiment que ce type d’incident se multiplie, ces derniers mois. Tu as remarqué ? Surtout, ça concerne tous les dons, aujourd’hui, même les géomanciens. Pourtant, les pertes de contrôle sont vraiment très rares, chez eux. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer le pire.

Le jeune homme avait toujours des frissons, quand il entendait ce genre d’histoire ! Lui-même possédait deux pouvoirs décrits comme « rudes » pour rester poli, il savait bien que c’était facile de se laisser emporter, parfois, et en arriver à se laisser avoir par son propre élément, c’était super effrayant. Pour n’importe quel élément, d’ailleurs, ce n’était pas un phénomène rare. Mais comme le disait justement Sengoku, c’était aussi un prétexte, une excuse facile mais qu’on pouvait facilement éventer, qu’utilisaient les personnes mal intentionnées. Toujours est-il qu’aujourd’hui, dérèglement officiel ou simple pyromane, ils avaient quand même dans la nature un homme, ou une femme, encore en liberté qui mettait le feu à tout ce qui bouge. D’ailleurs, son ami était quand même plus renseigné que lui, sur ce qui se passait, ou était supposé se passer, d’où il tenait ses infos ? Ou alors, comment il s’y prenait, pour plus faire parler les aînés de ce genre de sujets et se tenir au courant ?

"J’ai le sentiment que ce type d’incident se multiplie, ces derniers mois. Tu as remarqué ? Surtout, ça concerne tous les dons, aujourd’hui, même les géomanciens. Pourtant, les pertes de contrôle sont vraiment très rares, chez eux. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer le pire."

"Il y a ce genre de problème depuis toujours, non ? Je ne sais pas si ça augmente, honnêtement, j’ai du mal à me tenir au courant efficacement, pour tout ça, je ne sais pas comment tu fais !"

Une petite moue lui échappa, sur cette dernière exclamation, il trouvait ça même un brin vexant ! Après, Sengoku engageait plus facilement la conversation avec un peu tout le monde, dans le temple, y compris les aînés. Même plus facilement que beaucoup de ceux qui, comme Shingen, étaient pourtant nés au temple et y avaient grandi. Ça devait être grâce à son caractère, sans doute. Le jeune homme soupira un peu et donna un petit coup de pied, tout en continuant leur marche, dans un petit caillou en bordure de chemin. La petite pierre ricocha contre une autre, plus grosse, puis alla retomber un peu plus loin dans l’herbe grasse. Ah, bon sang, que devait-il en penser ? Ça l’inquiétait, surtout. Même s’ils étaient tous formés à la dure, contre ce type de problèmes, il trouvera toujours ça assez angoissant. Il incita Sengoku à le suivre, quitter le chemin pour filer dans l’herbe et sous les hauts pins, puis descendre en contrebas. Après une dizaine de mètres, ils pouvaient rejoindre un coin tranquille, au bord d’un petit ruisseau, sous les branches basses et protectrices d’un très vieux chêne.

Le domaine regorgeait de ce type de petit coin discret, à l’abri des regards ou des bruits. Les étudiants et les membres attitrés du temple y venaient pour lire, se reposer ou méditer, souvent seuls, parfois à deux ou trois. Le bruit de l’eau ruisselante avait le don d’apaiser Shingen. Malgré ses deux dons, le vent et le feu, il se sentait tout de même mieux quand il s’asseyait près des cours d’eau. Quand il écoutait, se détendait, observait la course du ruisseau contre les rochers, avant d’être emportée plus loin encore. Il y avait un apaisement certain, là-dedans. Avant de s’asseoir, il rabattit un peu les pans de son uniforme, pour ne pas les étaler partout, puis ramena ses jambes contre lui, en les entourant de ses bras. Les bouts de son bandeau frontal flottaient très légèrement, comme ses mèches, sous l’action du vent.

"Comment t’y prends-tu, pour te tenir au courant des rumeurs ou des vrais soucis ? Il y a un truc ?"

Il y a ce genre de problème depuis toujours, non ? Je ne sais pas si ça augmente, honnêtement, j’ai du mal à me tenir au courant efficacement, pour tout ça, je ne sais pas comment tu fais !

En écoutant ?

De quoi Shingen se vexait, au juste ? Il ne s’expliqua pas plus, donnant un petit coup de pied à un caillou de passage, avec cette petite moue qui lui venait toujours quand il était inquiet. Oh, allez, il ne fallait pas crier avant d’avoir mal, ni trop s’en faire. S’inquiéter beaucoup, à son sens, c’était souffrir deux fois ! Il le suivit quand il s’écarta du chemin, sur l’herbe épaisse et encore humide, malgré le soleil qui s’imposait de plus en plus. Le tout pour rejoindre un petit coin, au bord d’un ruisseau, aux pieds de vieux chênes imposants. Sengoku venait souvent ici, le dimanche en général, pour y lire, le matin, ou simplement se poser une heure au calme pour méditer. Il s’assit en tailleur, sur un petit rocher plat, puis remit correctement les bans volages de son bandeau frontal, derrière lui. Ses affaires étaient posées dans l’herbe, à côté de lui.

Comment t’y prends-tu, pour te tenir au courant des rumeurs ou des vrais soucis ? Il y a un truc ?

Pas vraiment… Ça se fait au détour de conversations, avec un peu tout le monde, au temple ou ailleurs. Je ne peux pas deviner ce qui relève de la simple rumeur ou de l’information véridique, souvent, il faut attendre. De toute manière, pour certains sujets, nous ne sommes pas concernés. Si nous n’avons pas les aptitudes nécessaires pour nous en mêler, à quoi bon chercher à tout savoir.

Il haussa un peu les épaules, avec un petit sourire à Shingen. Ce n’était pas une science exacte ! Il n’allait bien sûr pas harceler tout le monde pour savoir ce qui se passait dans le pays, ou ailleurs, c’était toujours du hasard. Il ne pouvait pas lui donner de « trucs », par contre, il put lui donner quelques conseils. La manière d’amener certains sujets plus sensibles, par exemple, sans avoir l’air de forcer les choses. Ce n’était que des petites tournures de phrases, polies et sans prétention, qui toutes rentraient facilement dans une conversation. Rien de spectaculaire. Et puis, il ne voulait pas s’occuper de tout, très loin de là, ça ne lui servirait pas à grand-chose. Bien des sujets les dépassaient, dans ce monde, après tout.

Et puis, ce n’est pas la peine de trop s’inquiéter, il n’y a jamais eu de problème majeur dû aux éléments. Même si cela arrive un jour, c’est pour cela que nous nous entraînons si dur, nous tous. Pour être capables de faire face. Si cela arrive, on sera toujours un groupe, pour se défendre, unis, tu ne trouves pas cela réconfortant ?

Sengoku essayait, à sa manière, de l’encourager, de lui faire comprendre qu’il n’était pas tout seul et ne le sera jamais. Allez, mon vieux, redresse-toi et sourit ! Il n’y avait aucune raison que les choses aillent de plus en plus mal ! Et même si ça se déroulait comme ça, et bien soit, ils feront face.

"Pas vraiment… Ça se fait au détour de conversations, avec un peu tout le monde, au temple ou ailleurs. Je ne peux pas deviner ce qui relève de la simple rumeur ou de l’information véridique, souvent, il faut attendre. De toute manière, pour certains sujets, nous ne sommes pas concernés. Si nous n’avons pas les aptitudes nécessaires pour nous en mêler, à quoi bon chercher à tout savoir."

Ah, c’est tout, alors ? Il fit une petite moue en regardant son ami, qui lui souriait un peu en haussant les épaules. Ils discutèrent de comment aborder les gens sans avoir l’air malpoli ou de forcer, durant un petite moment. Tout en discutant, Shingen posa le menton contre ses genoux, les jambes toujours ramenées contre lui, profitant complètement qu’on ne puisse pas les voir ici pour s’asseoir comme il voulait, sans forcément suivre les règles. Bon, bien sûr, ça risquait de crisper si un maître passait dans le coin et le surprenait. Sengoku était bien assis, lui, comme s’ils étaient en cours, en tailleur avec le dos parfaitement droit. C’était quand même dingue, au fond, il était un peu plus jeune que lui, n’était pas né au temple et n’avait donc pas grandit avec toutes les règles, il ne les avaient apprises que bien plus tard, et pourtant, il les respectait toutes bien mieux que lui en permanence. Ça l’impressionnera toujours !

"Et puis, ce n’est pas la peine de trop s’inquiéter, il n’y a jamais eu de problème majeur dû aux éléments. Même si cela arrive un jour, c’est pour cela que nous nous entraînons si dur, nous tous. Pour être capables de faire face. Si cela arrive, on sera toujours un groupe, pour se défendre, unis, tu ne trouves pas cela réconfortant ?"

"Heu, si…"

Vu sous cet angle, effectivement. Shingen bougea enfin un peu et se rapprocha de l’arbre non loin, pour s’y adosser, et étendre les jambes. Le nez levé vers le ciel, qu’il voyait entre les ramures des hauts sapins, il ajouta d’un ton plus confiant, pour une fois, qu’il avait confiance en ses amis et le temple, pour faire face aux problèmes, il ne doutait tout de même pas ça. En fait, ce qu’il se demandait le plus, c’était bien si lui-même sera capable de soutenir le rythme. Les vraies missions commençaient à l’âge de quinze ans, en général, l’âge où vous voyait comme un jeune adulte et donc capable d’avoir des responsabilités plus importantes. Depuis cet âge, il avait mené son travail avec ferveur, pour autant, il doutait toujours de lui, dans le fond. Car il se demandait si cette vie était faite pour lui, s’il n’était pas juste là car son père lui avait demandé, et rien d’autre, s’il ne restait que parce qu’il n’était pas capable de savoir s’il pouvait réaliser autre chose ou non.

Des doutes dont il n’avait jamais parlé à qui que ce soit, que ce soit avec ses parents ou ses amis, ni même à ses mentors. Il ignorait comment les exprimer, que ça ne passe pas pour une simple faiblesse, et aussi par peur de décevoir ses parents et ses professeurs. En mission, il n’était pas mauvais, il ne croyait pas l’être en tout cas, alors… Ce n’était pas encore le jour pour parler de ça, cependant, et il s’efforça d’assez vite chasser ces pensées de son esprit.

"On ne peut quand même pas nier que les « petits » problèmes se multiplient, depuis un peu plus d’un an. Personne ne semble trop savoir pourquoi. Entre les rumeurs, les histoires exagérées et les témoignages sincères, difficile de distinguer le vrai du faux. J’ai aussi le sentiment que les relations entre les temples sont plus froides, si on peut dire ça, depuis quelques années. Il y a moins de coopération qu’avant. Mon père me disait la semaine dernière que lorsqu’il était sur le terrain, à mon âge, il ne se passait pas une seule semaine sans que des missions se fassent avec des garçons des autres clans. Pour nous, aujourd’hui, ça n’arrive pas si souvent. Pourtant, l’efficacité est meilleure avec une bonne coopération. J’ai l’impression que… Que certains dons se « repoussent » plus. Sont plus en opposition. Tu vois ce que je veux dire ?"

Shingen ignorait si c’était très clair. La tête tournée vers son ami, il attendait de savoir ce que lui en pensait. S’il trouvait que c’était idiot, qu’il s’inquiétait pour rien, ou s’il songeait lui aussi que quelque chose se tramait.

Pas très convaincu, hein ? Sengoku baissa la tête pour dissimuler un petit sourire, sans faire le moindre commentaire. Et puis, son meilleur ami retrouva de toute façon assez vite un ton et un air plus confiants et enjoués, comme à son habitude. Tant qu’il était bien conscient qu’ils étaient là, tous ensemble, dans un groupe soudé et solide, c’était tout ce qui comptait ! Le jeune homme posa les mains contre ses genoux, toujours assis en tailleur, adoptant naturellement une position propice à la méditation. Tout aussi naturellement, sa respiration s’apaisa progressivement, se fit plus profonde, plus lente. Il gardait la tête un peu baissée, les yeux clos. Ça ne l’empêchait d’écouter tout ce qui se produisait autour de lui, évidemment, ce n’était là qu’une manière de se reposer. Et de conserver les idées claires, sans que le stress ou les tensions ne viennent l’habiter.

On ne peut quand même pas nier que les « petits » problèmes se multiplient, depuis un peu plus d’un an. Personne ne semble trop savoir pourquoi. Entre les rumeurs, les histoires exagérées et les témoignages sincères, difficile de distinguer le vrai du faux. J’ai aussi le sentiment que les relations entre les temples sont plus froides, si on peut dire ça, depuis quelques années. Il y a moins de coopération qu’avant. Mon père me disait la semaine dernière que lorsqu’il était sur le terrain, à mon âge, il ne se passait pas une seule semaine sans que des missions se fassent avec des garçons des autres clans. Pour nous, aujourd’hui, ça n’arrive pas si souvent. Pourtant, l’efficacité est meilleure avec une bonne coopération. J’ai l’impression que… Que certains dons se « repoussent » plus. Sont plus en opposition. Tu vois ce que je veux dire ?

Oui…

Il comprenait très bien, oui, il avait lui aussi réfléchi à cela, ces derniers temps, et en était arrivé aux mêmes conclusions. Bien que ce ne soit pas encore quelque chose de généralisé et très flagrant, le malaise s’installait avec lenteur. Ce problème-là se rapprochait de ce dont ils avaient parlé juste avant, les dons étranges, envahissant leurs porteurs, jusqu’à les blesser, les rendre fou, et même les tuer, dans les cas les plus extrêmes.

Ça peut peut-être venir d’un manque d’entraînement global ? Lorsque le niveau général d’une population tend à baisser, ça peut créer des soucis… Enfin, je l’ignore, ce n’est qu’une hypothèse. On sait bien que peu de personnes, finalement, choisissent de s’exercer avec leurs pouvoirs. Ou bien le font enfants et délaissent le tout une fois adulte, ne s’en servant qu’occasionnellement. Ce n’est pas forcément les éléments eux-mêmes qui ont un problème.

En réalité, ça lui semblait bien plus logique que le problème soit bien Humain. Ils n’avaient jamais eu de très gros ennuis avec l4orm, cette énergie ne leur avait jamais fait défaut. Elle était présente depuis des centaines d’années, voire des milliers, elle influençait, gouvernait, dirigeait la Terre comme le cœur des Hommes. Tous les élémentaires en ressentaient la puissance lorsqu’ils usaient de leurs dons… Sengoku avait une très grande Foi en cette énergie naturelle, il ne pensait pas qu’elle puisse « tomber malade » ou être malmenée. C’était un pouvoir venant des Dieux, après tout. Il était même persuadé que tous les élémentaires, dans le monde entier, vénéraient cette énergie et la chérissait, elle était à l’origine de tous leurs pouvoirs, comment ne pas la respecter ? L’idée que l’Orm puisse réellement être malade l’effrayait bien trop pour qu’il ait envie d’y penser. Si c’était le cas, les conséquences seraient si graves… les dons pourraient même finir par disparaître complètement ! Et que deviendrait la nature, sans cette énergie ?

Pourquoi penses-u que les relations avec les autres Temples soient si dégradées, aujourd’hui ? Ton père est si inquiet ?

"Oui… Ça peut peut-être venir d’un manque d’entraînement global ? Lorsque le niveau général d’une population tend à baisser, ça peut créer des soucis… Enfin, je l’ignore, ce n’est qu’une hypothèse. On sait bien que peu de personnes, finalement, choisissent de s’exercer avec leurs pouvoirs. Ou bien le font enfants et délaissent le tout une fois adulte, ne s’en servant qu’occasionnellement. Ce n’est pas forcément les éléments eux-mêmes qui ont un problème."

"Je ne sais pas. Peut-être."

Il plaça les bras croisés derrière sa tête, pour s’en servir comme d’un oreiller, puis détendit un peu encore les jambes. Tout ça le dépassait un peu… Ils étaient entraînés pour faire face à tout type de situations, mais pas spécialement pour ça. En plus, comment pourraient-ils savoir si c’était vraiment un manque global d’entraînement ? Il n’était même pas certain qu’il y ait au moins une personne, dans ce pays, sachant vraiment combien d’élémentaires y vivaient et parmi eux, combien s’entraînaient avec régularité. Il faudrait, pour ça, faire un recensement régulier et annuel ! Compter chaque année qui possédait un don, depuis combien de temps, etc., car il fallait en sus compter ceux découvrant leurs pouvoirs au cours de l’année et ceux en possédant un second. Puis une fois qu’on avait ces informations en main, encore fallait-il les analyser et tenter d’en tirer les bonnes conclusions. Un bien lourd travail, mine de rien, peu sûr que le gouvernement ait très envie de mener ce genre d’études, ils avaient bien d’autres priorités à traiter avant tout.

Son regard accrocha un nuage, passant paresseusement, haut dans le ciel. Il lui trouva vaguement la forme d’un petit château. L’idée lui vint de s’envoler là-haut, si haut qu’il pourrait toucher les nuages, souriant faiblement à cette idée. Voler était possible, pour les aéromanciens, mais ça restait un exercice délicat à maîtriser, demandant beaucoup de doigté et d’énergie. Un niveau qu’il ne possédait pas encore, bien loin de là. Pourtant, ça lui donnait envie… Il cligna un peu des yeux, laissant ce nuage dériver à sa guise sans plus le détailler.

"Pourquoi penses-tu que les relations avec les autres Temples soient si dégradées, aujourd’hui ? Ton père est si inquiet ?"

"Je l’ai entendu en parler, lorsque j’allais lui rendre visite, à maman et lui. Il y a moins de missions communes, ça, c’est acté. Et puis, il dit parfois que les liens d’amitiés entre les temples et les clans sont plus fragiles que de son temps. Que les chefs de temple ont plus de mal à s’entendre aujourd’hui et que ça se répercute sur les membres de chaque clan."

Il répéta à son ami quelques phrases entendues à la volée, sans avoir pu obtenir plus d’explications. Son père était inquiet à ce propos, oui, c’était certain. Il en discutait régulièrement, et même s’il ne donnait pas grandes explications à son fils, ça restait facile de voir que ce sujet le préoccupait. Il avait aussi surpris une conversation entre lui et sa mère, un soir, alors qu’il s’apprêtait à repartir rejoindre les autres garçons de son âge, au dortoir. Shingen se releva d’un coup, pour aller faire quelques pas au bord du ruisseau et faire passer la nervosité commençant à s’installer. Il s’accroupit ensuite au bord de l’eau, y glissant doucement les doigts. L’eau ruissela contre sa paume et entre ses doigts, plutôt fins à son grand dam, poursuivant ensuite sa course. L’eau était un élément qu’il aurait aimé développer, mais la vie et le destin avaient choisi de lui offrir la pyromancie, en second pouvoir. L’Orm n’avait pas dû le juger assez digne d’esprit pour manier l’aquamancie.

"Le tournoi de la semaine prochaine aidera peut-être à apaiser les relations. C’est tout de même très important."

Peut-être était-il tout simplement d’un naturel trop optimiste, de son côté, pour parvenir à s’inquiéter, ça lui semblait bien peu, comme raisons de s’en faire. Même s’il y avait moins de missions communes, ça pouvait aussi être car les manières de faire étaient plus différentes aujourd’hui, entre chaque temple, que par le passé ? Et donc, en conséquence logique, que ça les éloignaient un peu plus les uns des autres ? En plus, si leurs chefs respectifs s’entendaient moins bien qu’autrefois, c’était sans doute, tout simplement, pour des raisons de caractères. Pas obligatoirement pour des différences majeures de points de vue. Il ne saurait pas non plus dire si Takeda-sama, le père de Shingen, était du genre à s’angoisser facilement ou non, ça ne l’aidait pas à se faire un point de vue plus objectif. Soit il était lui-même assez naïf et ne s’inquiétait pas assez, soit ces personnes s’inquiétaient un peu trop.

Son meilleur ami se leva tout à coup d’un petit bond, le surprenant, puis il alla s’accroupir près de la rivière, en y glissant la main. De son côté, Sengoku baissa la tête, un petite soupir aux lèvres. Il était toujours nerveux et assez inquiet, malgré tout ce qu’il avait pu lui dire. Sengoku ne voyait pas ce qu’il pourrait faire de plus pour le rassurer, sur ce sujet, il avait déjà essayé beaucoup de choses. Peut-être devrait-il le laisser d’abord cogiter tranquillement sur cette discussion et revenir plus tard sur le sujet ? Ça pouvait être une idée. Il se releva à son tour, plus doucement, et vint le rejoindre au bord de l’eau, en se penchant un peu, mains dans le dos. C’était curieux, quand même. Shingen était l’un des très rares pyromanciens à beaucoup apprécier l’eau, la toucher dès qu’il en avait l’occasion, à s’approcher des océans et grands fleuves sans que ça ne le rende mal à l’aise.

Le tournoi de la semaine prochaine aidera peut-être à apaiser les relations. C’est tout de même très important.

Bien sûr. Il ne faut pas trop s’en faire, sur le sujet, ça a sûrement dû arriver de multiples fois, des périodes comme celle-ci. Les responsables des temples changent, les prochains seront peut-être les meilleurs amis au monde, qui peut le prévoir ? C’est à nous de continuer à travailler sur tout ça, garder de bonnes relations avec les membres des autres temples et s’en faire des amis. Même si nous ne pouvons effectuer que peu de missions ensemble.

Il lui adressa un autre large sourire encourageant. Allez, un peu d’enthousiasme ! D’eux deux, d’habitude, c’était lui qui était le plus exalté, non ? Au bout d’un moment, il vérifia quand même l’heure puis dit à Shingen qu’ils devaient rentrer, maintenant, retrouver les autres. Leur journée était loin d’être terminée, ils ne pouvaient pas rester trop longtemps près de la rivière à ne rien faire.