Tournoi des éléments

Le temple avait revêtu ses habits de fête, pour le tournoi aujourd’hui, ses bannières et son symbole claquaient dans le vent, tandis que des fleurs et décorations avaient été déposés un peu partout. Des tournois étaient organisés une par an, généralement vers la fin de l’hiver, et la majeure partie des temples dédiés aux éléments y participaient. Chacun organisait, tour à tour, la rencontre. Shirobotan n’avait plus accueilli un tournoi depuis pas mal d’années, maintenant, et pour ce jour, il brillait de tous ses feux. Isami se sentait très nerveux… Avant le début du tournoi, ils avaient tous écouté un petit discours très strict et tendu, par le maître du Temple, pour les mettre en garde. Aucun d’entre eux ne ferait mieux d’avoir le malheur de faire honte aux couleurs de leur maison et encore moins de mal se comporter. En plus, bien sûr, de tout donner, corps et âme, dans les jeux et épreuves de ce tournoi. Pour rapporter un maximum de prestige à leur temple, bien entendu.

Ce n’était pas un simple jeu. Le temple remportant le plus de points, et donc le tournoi, gagnait aussi du prestige, de l’influence, et donc, par la suite, plus de travail et de contrats. Ce n’était pas à prendre à la légère, l’honneur était d’autant plus si grand si l’organisateur de ce tournoi remportait la mise. A tout juste quinze ans, c’était la toute première année où il participait… C’était l’âge minimum, pour être admis, car les aînés estimaient que les plus jeunes n’avaient pas la maturité et les connaissances nécessaires pour suivre les différentes épreuves. Pour autant, à quinze ans, ils étaient encore loin d’avoir la même expérience, la même dextérité et la même force que leurs aînés, la partie s’annonçait d’emblée difficile. S’il y avait des domaines où Isami se débrouillait bien, sur d’autres, en revanche… Il redoutait vraiment ce qui allait suivre, le regard des autres, le jugement qui sera porté, et peinait à le cacher. En rang avec d’autres, pour la cérémonie d’ouverture, il se sentait tout petit, perdu dans la foule, même en étant encore auprès de ses amis.

Il y avait vraiment beaucoup de monde… Chacun debout bien droit, en rang, encore par « bloc » serré, selon d’où les personnes venaient, écoutant, en haut des imposant escaliers, le maître de cérémonie du jour les accueillir et prononcer les paroles rituelles. Ce tournoi était très ancien et très solennel, il n’y avait pas de place pour l’amusement. Ni pour les spectateurs, d’ailleurs, les seuls présents étaient les participants au tournoi, les maîtres des temples, les aînés et les arbitres, rien de plus, rien de moins. Les enfants de Shirobotan, encore trop jeunes pour participer, étaient maintenus à l’écart. Ça renforçait la nervosité d’Isami, car n’ayant jamais assisté à un tournoi, il ignorait complètement à quoi s’attendre. Le plus discrètement possible, il essuya ses mains moites contre sa tunique. Il avait peur, oui ! Et comme il ne gérait pas très bien la pression, de base, sa tension était encore plus exacerbée.

Chacun était inscrit dans une « ligne » précise d’épreuves, sept en tout, chacune sur un domaine différent. On appelait ligne cette ligne de sept épreuves, chaque ligne était différente, selon les dons appelés en œuvre et l’âge de ses participants. Ça ne signifiait pas pour autant que la difficulté variait en fonction de l’âge, non, ce serait trop simple… Ce qui changeait était uniquement la complexité des situations. Les plus jeunes devront faire appel à des techniques faibles ou modérées, durant les épreuves exigeant l’utilisation de leurs pouvoirs, tandis que les aînés auront face à eux des situations exigeant des techniques plus poussées. Mais il y avait aussi des épreuves purement physiques. De l’équitation, du tir à l’arc, de l’équilibre et une épreuve de force. Les trois dernières épreuves seulement de la ligne obligeaient à utiliser son pouvoir. Le tout était supervisé par des juges et des arbitres, issus d’un peu tous les temples, choisis pour leur parfaite impartialité. Lorsque le coup d’envoi fut sonné, Isami eut comme un coup au cœur. Si nerveux…

La première épreuve où il dû se présenter était une d’équitation. Tout un parcours, à cheval et au galop, en devant au passage réussir à sauter par-dessus des obstacles, attraper des foulards en hauteur ou encore, à un moment, se mettre debout durant une minute, en selle. Dans le groupe, attendant son tour, il bouscula légèrement quelqu’un habillé tout en blanc, le temple Moeru Kumo comme il reconnut à l’uniforme, et il s’écarta un peu aussitôt.

– Pardon, marmonna-t-il.

Ce temple était vraiment clinquant, Sengoku ne trouvait pas d’autres mots. Une décoration très chargée, tape-à-l’œil, très dorée, qui débordait de partout, dans tous les sens possibles. A côté de la sobriété de Moeru Kumo, c’était d’autant plus étrange. Ils étaient partis assez tôt, ce matin, pour venir au tournoi, et comme le jeune homme n’avait pas très bien dormi, il peinait encore à rester concentré. La cérémonie d’ouverture était plutôt longue, très solennelle, et le ton monocorde du maître de cérémonie ne l’aidait pas beaucoup. Il inspira un peu, yeux fermés, et se secoua intérieurement. Allez ! Il n’était pas venu ici pour rêvasser, après tout, c’était une journée très importante ! Ils devaient tous faire honneur à leur temple, s’il se mettait à divaguer maintenant, il était bon pour prendre un savon à leur retour. Il inspira encore un peu, les mains dans le dos, et redressa sa posture, puis se concentra mieux que ça sur la situation.

Au lancement, ils furent tous séparés en groupes, composé chacun des membres de plusieurs temples, puis lancés sur les épreuves. La première année, ça s’était moyennement bien passé, Sengoku n’avait pas réalisé un bon score et n’avait pas été très à l’aise. Puis l’année der,ière, ça s’était bien mieux déroulé. Comme il savait à quoi s’attendre, il était arrivé plus détendu et confiant, s’était bien débrouillé sur la plupart des épreuves. Cette année, pour sa troisième participation, il ne se sentait pas vraiment stressé ou nerveux, par contre, il était fatigué. Il avait dormi… quoi… un peu moins d’une heure… Quasiment une nuit blanche, somme toute, ses yeux se fermaient tous seuls. Il lui arrivait de temps en temps de faire des insomnies, ça revenait périodiquement, des sortes de semaines de crise, avant que le sommeil ne revienne à la normale. Et ce coup-ci, il fallait que ça tombe juste avant le tournoi, bien évidemment, merci la nature.

Leur large groupe se retrouva sous un auvent, dressé face au champ qui devait accueillir la première épreuve les attendant, celle d’équitation. On se réveille, mon vieux, on se réveille, allez, du courage. Il dormira mieux la nuit prochaine… Ou la semaine prochaine, plus probablement. Quelqu’un le bouscula tout à coup puis s’écarta, avec un mot d’excuse. Plongé dans ses pensées, Sengoku n’avait rien vu approcher non plus, contrairement à d’habitude, et il se tourna vers un garçon, qui semblait plus jeune que lui, de peu, mais surtout, de visu beaucoup plus nerveux.

Pas de soucis, lui sourit-il en se voulant rassurant. Ça semble être ton premier tournoi, non ? Courage à toi. Je m’appelle Sengoku, au fait.

– Pas de soucis. Ça semble être ton premier tournoi, non ? Courage à toi. Je m’appelle Sengoku, au fait.

– Isami Yoshitsune. Et oui, c’est… le premier.

Ça se voyait tant que ça… ? Le jeune garçon se renfrogna considérablement, un peu vexé, et se demanda si tout le monde le trouvait, ou le jugeait, trop jeune pour être ici et porter les couleurs de son temple. Il ne voulait pas qu’on le prenne pour un incapable ou un simple gamin effrayé et nerveux ! Alors il se redressa autant que possible et s’obligea à porter un regard fier et franc vers le lancement, de là où partait la course. Son tour vint d’ailleurs en même temps que le garçon de Moeru Kumo. Sous une large tente, plusieurs box étaient disposés, avec les chevaux. Dans le sien, Isami se trouva encore plus petit et ridicule, comme à chaque fois. Il avait toujours un peu de difficulté à monter, mais une fois en selle, il était un pu plus à l’aise. Lorsque la cloche sonna, il s’élança sur la piste face à lui, parallèle aux autres, et il fit monter peu à peu sa monture au galop. Le stress était remonté d’un bloc, et avec lui, une très grosse poussée d’adrénaline.

Le premier obstacle fut délicat à franchir, et surtout en se sachant observé, il avait encore plus de mal. Le vent claquait contre lui, faisant voler des pans de son uniforme ou de ses cheveux. Ballotté sur la selle, les mains serrées à s’en faire mal sur les rênes, il se concentra sur le second obstacle, le passant mais faisant chuter au passage des bouts de bois. Il pouvait presque sentir le regard critique des juges, dispersés dans toute la zone, dans sa nuque… Il fournissait tous les efforts possibles, pourtant ! La gorge sèche et le ventre noué, il rentra un peu les épaules, en poursuivant sur la piste. Il devait réussir toutes ses épreuves, il devait faire mieux que ça pour rendre son temple et ses mentors fiers. Tournant la tête, il vit un autre garçon sur la gauche passer à toute allure, franchir un obstacle avec une parfaite aisance, puis filer plus loin encore. Isami, lui, avait ralenti le rythme malgré lui, sous l’effet du stress.

Une dizaine de mètres plus loin, sur la droite, le garçon en blanc chevauchait lui aussi à vive allure. Puis, d’un coup, Isami lâcha un hoquet d’horreur en le voyant, alors que son cheval sautait par-dessus une barrière, se faire violemment éjecter. Aussitôt, il fit passer sa propre monture sur la piste de droite, ignorant le cri d’avertissement qu’il entendit brièvement derrière lui, et stoppa près de l’endroit de la chute. Là, il sauta aussitôt à terre, s’emmêlant un peu avec les rênes dans la précipitation, et chercha le garçon. Le cœur battant à très vive allure, il le trouva un peu loin, à terre et dans les fourrés, allongé sur le dos. Il était vivant ?? Le jeune garçon se précipita à côté de lui et tomba à genoux, tirant sur les fourrés pour les écarter de là et mieux voir. Son cœur rata un nouveau battement quand il vit que le blanc immaculé de l’uniforme prenait par endroit une teinte rouge…

– Hey ! Tu m’entends ?!

Il ne lui avait pas dit son nom de famille et Isami n’osait pas l’appeler par son prénom, juste comme ça. Il se pencha sur lui pour vérifier s’il respirait toujours, constatant avec un grand soulagement que lui. Mais il était blessé. D’autres secours arrivaient, il les entendaient, et se redressa pour faire signe que c’était ici.

– Oh, eh, ça va aller, il y a… Des gens arrivent, ça va aller. Tu entends ?

Isami Yoshitsune. Et oui, c’est… le premier.

Sengoku lui adressa un autre sourire encourageant, réalisant juste là qu’il s’était présenté, de son côté, par son prénom plutôt que par son nom de famille. Oups. Bon, tant pis, il avait pris une mauvaise habitude avec ça, au temple, ce n’était pas très grave. Pas le temps d’en ajouter, de toute manière, ils devaient avancer, par petits groupes de trois. Sengoku avança dans le box de droite, où piaffait légèrement la monture. Il grimpa en selle avec un petit nœud d’appréhension dans le ventre, rejeta les pans de son bandeau dans son dos, puis pris une grande inspiration. Face à eux, une longue piste, tout sauf rectiligne, avec divers obstacles à franchir, des foulards à attraper en pleine course, un exercice d’équilibre sur la fin, le tout avec des arbitres et juges disséminés tout du long pour les observer et les noter. Quelques minutes plus tard, la cloche sonna, les portes des box furent ouvertes et tous trois s’élancèrent.

Dès les premières foulées, il se dit qu’il devrait s’entraîner un peu plus souvent. Il se frotta un peu les yeux pour en chasser la fatigue, puis voyant le premier obstacle fondre sur eux, pressa les genoux et tira un peu sur les rêves pour intimer l’ordre à sa monture de sauter juste au moment voulu, pour ne rien frapper au passage. L’air très frais suffisait à peine à le réveiller un peu, il ne cessait de cligner des yeux, pour tenter d’en chasser les picotements. Le second obstacle, une haie, arrivait déjà. En la franchissant, il se sentit trembler un peu, la tête commençait à lui tourner… Une nuée de petits points lumineux lui flottait devant les yeux. A la haie suivante, il ne sut s’il piqua légèrement du nez ou commençait à s’évanouir, mais d’un coup, un hennissement lui vrilla les oreilles et le crâne. Il ne réalisa pas tout de suite avoir été projeté, avant de faire la rencontre très brutale du sol et de stopper plus loin, après plusieurs roulés-boulés.

Allongé sur le dos, alors qu’une très forte douleur le secouait tout entier, il lâcha un gémissement de souffrance, sonné et hébété. Son corps tout entier lui faisait mal… Au niveau de sa jambe, sous la longue tunique du dessus, son pantalon avait été largement déchiré par les ronces et il sentait que sa jambe saignait. Son dos et son bras gauche lui faisaient aussi très mal. A moitié évanoui, il referma les yeux, ne pouvant plus les tenir ouvert. Puis il entendit comme un appel, un cri, quelqu’un bouger les buissons et ronces où il s’était finalement écrasé. Incapable de bouger, Sengoku demeura comme ça, immobile et les yeux fermés, le corps vrillé de douleur. Une main se posa contre son pouls, cherchant un pouls apparemment, l’autre le secouait un peu par l’épaule. Le jeune homme ne bougeait toujours pas. Il n’arrivait pas à ouvrir les yeux, pas encore. Il faisait pourtant des efforts…

Oh, eh, ça va aller, il y a… Des gens arrivent, ça va aller. Tu entends ?

C’était la voix… du garçon à qui il avait brièvement parlé avant le départ de la course… Sengoku réussit enfin à entrouvrir les paupières, voyant un visage flou s’agiter au-dessus de lui. Puis d’autres, une minute plus tard. Il se laissa faire, quand on le fit glisser sur une civière, puis qu’on l’emmena. Quelqu’un lui dit de ne pas bouger. Aucun risque là-dessus. Le garçon était toujours à côté, il le voyait du coin de l’œil… C’était gentil de venir. Il se nota de le remercier, dès qu’il le pourra. Les hommes portant le brancard lancèrent qu’ils l’emmenaient dans la salle de soin. Merci…

L’ambiance, pour le moment, était plutôt calme, dans le Pavillon des Soins. Le tournoi venait jsute de se débuter, les participants de se lancer, et les jeunes gens engagés de tout donner. Ce Pavillon, quant à lui, était une aile de la maison médicale du Temple, réaménagé pour permettre aux éventuels blessés de se reposer à l’abri des regards et du bruit, et surtout, de faire en sorte que les blessés en questions soient chacun regroupés avec des membres de leur propre temple. La pièce, très grande, était séparé par des portes coulissantes légères et des paravents, procurant une ambiance très feutrée, apaisante, mais aussi angoissante, tant l’espace avait été cloisonné et compartimenté. Là où la pièce de base était très vaste, belle et lumineuse. Dans leur espace alloué, Kenshin et ses confrères étaient pour le moment installés autour d’un thé, à discuter posément, et s’échanger les dernières nouvelles.

Pour sa part, le trentenaire se trouvait là pour ses compétences de soin « d’urgence » si on peut dire, pour ses talents à soigner à peu près n’importe quelle blessure sur le terrain, bien plus qu’il n’arrivait à soigner les différentes maladies, et pour sa capacité à calmer les esprits. Ceux des jeunes en particulier. Une part de psychologie et d’une attitude presque paternelle toujours utile pour les juniors n’en étant pas encore à leur cinquième ou sixième tournoi. Il avait lui-même participé plus d’une dizaine de fois à cette rencontre, avant, cette année, d’être nommé pour faire partie du service médical. Tous les ans, quelques uns se blessaient, c’était normal. Les épreuves étaient difficiles, après tout. Mais cette année, ils n’eurent pas même une heure à attendre avant qu’un premier blessé soit amené. Et un blessé de leur temple, qui plus est. On vint le leur installer, dans un espace de soin et repos prévu pour.

A la très grande surprise de Kenshin, un garçon de Shirobutan, qui se présenta très rapidement, avait suivi le mouvement jusqu’ici et semblait sincèrement inquiet. Le maître n’eut pas le cœur de le chasser, cependant, il lui dit de se mettre dans un coin pour le moment et de ne pas gêner le passage, merci. En se penchant vers son jeune patient, à peine conscient, il le reconnut très vite. Le jeune Hidehisa. Un garçon dont les aînés ne tarissaient pas d’éloge, très souvent. Il s’occupa d’abord de lui enlever sa botte, au niveau de la jambe blessée, avec précaution, puis de soulever le pantalon jusqu’au haut de la cuisse pour révéler correctement la blessure. Il repoussa aussi les pans de la tunique du dessus, sur les côtés, pour ne pas être gêné. La plaie ne lui sembla pas être très profonde. D’abord, la désinfecter, la laver pour y voir plus clair et déterminer les meilleurs soins à apporter. Un garrot avait déjà été fait, sur la cuisse du jeune homme, pour faire cesser l’écoulement du sang.

"Et bien, Yoshitsune-san, peux-tu me dire ce qui s’est passé, as-tu vu quelque chose ?"

Il lui envoya un petit sourire, avant de se concentrer de nouveau sur les soins à apporter.

Ils filèrent tous au pavillon, où devaient être emmenés les blessés. Isami ne savait pas vraiment pourquoi il avait suivit jusque là, en fait, il avait été tant choqué, sur le moment, que la peur l’avait poussé à accompagner le blessé jusqu’ici… Très crispé, il se présenta d’une petite voix, tout à coup entouré par pas mal d’adultes tous en blanc, s’attendant à être chassé vertement. Mais à sa très grande surprise, celui qui devait s’occuper du garçon blessé l’autorisa à rester, à condition qu’il ne gêne pas le passage. Ah… bien sûr ! Isami s’agenouilla aussitôt dans un petit coin de la pièce, en silence. Enfin, la « pièce » compartimenté par de larges paravents. Après avoir apporté de l’eau chaude et du matériel, les autres les laissèrent seuls. Assez intimidé, car il n’était clairement pas dans un endroit où il était censé venir, il restait très silencieux. Le médecin s’occupait du blessé, lui, penché sur lui. Tout à coup, il tourna rapidement la tête et lui adressa un petit sourire. Isami le lui rendit avec un temps de retard, les mains crispées contre sa tunique, contre ses cuisses.

– Et bien, Yoshitsune-san, peux-tu me dire ce qui s’est passé, as-tu vu quelque chose ?

– Heu, oui, sensei. Je l’ai vu à quelques mètres devant moi, il a fait une violente chute en étant désamorcé, par son cheval, alors qu’il sautait une haie. Il est retombé quelques mètres plus loin dans les ronces et les bussions par la suite. J’ai simplement fait un garrot car les secours arrivaient déjà.

La chute avait été impressionnante, à vrai dire… Mais il ignorait si les blessures l’étaient tout autant. Isami savait qu’il avait dû être disqualifié d’office, car c’était aux arbitres de s’occuper des blessés, pas aux autres participants. Il s’en souciera plus tard, lorsque la pression sera retombée. Pour le moment, il était toujours sous le coup du choc, de ce qu’il avait vu. Il fallait dire que porter des habits d’un blanc immaculé, ça rendait encore plus angoissant dès lors que le sang s’écoulait.

– Est-ce qu’il va s’en sortir, ce n’est pas trop grave ? Enfin, je ne veux pas donner l’impression de me mêler de ce qui ne me concerne pas. Je… Je m’inquiète juste. Je vous laisse, si vous préférez.

Une certaine gêne commençait à monter, car il réalisait mieux qu’il se trouvait dans une aile de la pièce réservée à des membres d’un autre temple, qu’il avait suivi sans demander la permission, qu’il s’était en plus incrusté dans une salle de soin et que personne ici ne le connaissait.

"Heu, oui, sensei. Je l’ai vu à quelques mètres devant moi, il a fait une violente chute en étant désamorcé, par son cheval, alors qu’il sautait une haie. Il est retombé quelques mètres plus loin dans les ronces et les bussions par la suite. J’ai simplement fait un garrot car les secours arrivaient déjà."

"Tu as très bien agi, je t’en remercie."

Kenshin tourna avec précaution, sur la côté, la tête de son jeune patient, pour palper l’arrière de son crâne, à la recherche d’une grosseur, une plaie ou des bosses. Son cou était souple, ses épaules aussi, c’était un très bon signe. Mais il avait bien deux bosses, dont une assez large et importante, derrière la tête. Le choc avait effectivement été violent. Le docteur demanda, à un de ses confrères, une poche de glace supplémentaire, pour l’appliquer sous la tête de son patient. Le temps qu’on la lui apporte, il poursuivit les soins de la jambe blessée. Elle nécessitait quelques points de suture… Il s’y attela après avoir terminé de laver et désinfecter, avec précaution. Il pourra bien s’en sortir avec un peu de repos, il lui faudra aussi éviter de trop s’appuyer sur sa jambe, durant plusieurs jours. Dans tous les cas, le tournoi était déjà achevé pour lui. Son collègue vint lui apporter la glace, une minute plus tard, et le docteur interrompit un instant son opération pour la placer. Il termina ensuite les quelques points, avec soin.

"Est-ce qu’il va s’en sortir, ce n’est pas trop grave ? Enfin, je ne veux pas donner l’impression de me mêler de ce qui ne me concerne pas. Je… Je m’inquiète juste. Je vous laisse, si vous préférez."

"Je ne te chasse pas, mon garçon. Tu peux d’ores et déjà t’apaiser, ce n’est pas très grave, cela nécessitera simplement du repos pour quelques jours, afin de bien se guérir. Ton intervention rapide, en faisant un garrot, lui a éviter de perdre trop de sang en attendant l’arrivée des secours. Je t’en suis reconnaissant."

Il s’occupera de lui après en avoir terminé avec son jeune patient… Kenshin fit ensuite un bandage à la jambe blessée, puis fit avaler des médicaments et anti-douleur au garçon. Avec une cuillère, il lui glissa entre les lèvres les produits, avant, finalement, de le recouvrir d’une couverture. A présent, il devait dormir un peu. Le médecin fit signe au garçon de Shirobotan de le suivre, dans la pièce compartimentée juste à côté. Là, il entreprit de préparer une tisane spécifique, conçue pour calmer les personnes et les aider à descendre leur tension. Il s’agissait d’un mélange d’herbes médicinales, préparée pour les personnes en état de choc ou celles dont la nervosité menaçait de les envoyer faire un malaise. Une tisane qu’il posa ensuite devant son second patient en lui disant de boire, que cela lui fera du bien. Le ton n’admettait aucune réplique, car ce n’était pas une simple courtoisie mais bel et bien un acte de médecine.

"Ce type de blessures demeure assez fréquent, dans le tournoi annuel. Est-ce le premier auquel tu participes ? Tu en verras probablement d’autres, comme tu en verras au cours de futures missions."

– Je ne te chasse pas, mon garçon. Tu peux d’ores et déjà t’apaiser, ce n’est pas très grave, cela nécessitera simplement du repos pour quelques jours, afin de bien se guérir. Ton intervention rapide, en faisant un garrot, lui a éviter de perdre trop de sang en attendant l’arrivée des secours. Je t’en suis reconnaissant.

Ah… C’est vrai… ? D’accord… Un peu soulagé, il hocha la tête, simplement, pour signifier qu’il comprenait, quoi qu’il restait toujours assez tendu. En vérité, il avait encore du mal avec la vue du sang et ne savait pas très bien comment se débarrasser de cette faiblesse… ça l’avait toujours beaucoup impressionné, depuis qu’il était tout petit, et là, ça avait été très frappant, même si ce n’était pas très grave. Son regard se fixa sur le visage, pâle, les yeux fermés, de Sengoku-san, un peu gêné de ne toujours pas connaître son nom de famille. C’était malpoli, de l’appeler par son prénom, même intérieurement, car il ne le connaissait pas, et même temps, il n’allait pas le désigner non plus tout le temps comme le « gars de Moeru Kumo », ce n’était pas plus poli que le reste. Mais c’était lui qui ne lui avait pas donné son nom, en plus, directement son prénom ! Comme s’il avait juste oublié les règles les plus simples, d’un seul coup, ou n’y prêtait pas vraiment attention.

Après les soins, le médecin recouvrit son patient d’une couverture, puis lui dit de le suivre, dans un espace juste à côté. Là, Isami retrouva d’autres personnes du clan, occupés à des petites tâches ou discutant entre eux, doucement mais assez légèrement, personne ne leur prêta une grande attention et ça l’aida un peu. Au milieu de ces personnes toutes habillées d’un blanc immaculé, il faisait tâche, non, avec sa tunique d’un jaune brillant ? Sa main glissa machinalement contre la pivoine sur son torse, symbole de son temple, alors qu’il s’asseyait correctement, en tailleur, là où le docteur lui avait dit. Docteur qui prépara puis lui donna ensuite une tasse rempli d’une tisane verte, dont l’odeur lui rappelait vaguement le thé matcha. Pourquoi voulait-il qu’il boive ça ? Tenté de poser la question, il stoppa finalement, se contentant de prendre docilement la tasse entre ses mains pour boire une petite gorgée. La chaleur le fit un peu frissonner et c’est là qu’il se rendit compte qu’il était complètement glacé.

– Ce type de blessures demeure assez fréquent, dans le tournoi annuel. Est-ce le premier auquel tu participes ? Tu en verras probablement d’autres, comme tu en verras au cours de futures missions.

– Oui, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre, voir ça m’a beaucoup surpris, alors… Enfin, c’est… C’est toujours un peu impressionnant, et comme il y avait beaucoup de sang, j’ai cru que c’était beaucoup plus grave.

Il se sentait stupide d’avoir paniqué… De s’être laissé emporter, comme ça, alors qu’il savait pourtant ce qu’il fallait faire, en théorie, dans ce type de situations. La panique et la peur étaient les pires de vos ennemies ! Si ses professeurs apprenaient ça, ce sera l’humiliation complète, ils risquaient de le voir comme un pauvre gamin complètement incapable d’affronter son travail ! Au moins, seul le docteur avait vu qu’il s’était senti mal, non ? Pourvu qu’il n’en parle à personne… Isami hésita même à le lui demander puis finalement, décida de se taire, pour ne pas aggraver la situation.

– J’ai bien conscience que le terrain est plus délicat à gérer, que je verrai aussi des blessures plus impressionnantes encore que celle-ci. Je ne m’attendais pas spécialement à ce que ça puisse arriver dans le tournoi, enfin, je veux dire, pas de cette manière-là. Est-ce si fréquent ?

"Oui, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre, voir ça m’a beaucoup surpris, alors… Enfin, c’est… C’est toujours un peu impressionnant, et comme il y avait beaucoup de sang, j’ai cru que c’était beaucoup plus grave."

"Cela ira, à présent. Bois ton thé, s’il te plaît."

Kenshin surveillait ça, car une fois qu’il aura fini, il voudra prendre son pouls et mesurer sa tension, afin d’être certain que tout allait bien. Surveiller également qu’il n’était plus aussi nerveux et sur le vif. Pour le moment, le seul air du jeune garçon l’informait que non. Peut-être avait-il simplement du mal à gérer ses émotions ? Le médecin s’interrogea là-dessus tout en le dévisageant, l’air très neutre. Difficile à savoir, il ne connaissait pas ce jeune garçon et ne l’avait jamais eu en cours non plus. Il arrivait que des étudiants viennent passer quelques jours, parfois même quelques mois, dans d’autres temples, pour des cours théoriques et un peu d’entraînement physique. Sans y inclure les éléments, bien sûr, ils devaient s’y exercer seuls durant ces laps de temps. Ce petit n’était jamais venu chez eux, il s’en souviendrait, pour sûr. Kenshin tâcha de lui adresser un sourire rassurant, quand bien même ça ne servira pas à grand-chose, il cherchait toujours à le mettre plus à l’aise.

"J’ai bien conscience que le terrain est plus délicat à gérer, que je verrai aussi des blessures plus impressionnantes encore que celle-ci. Je ne m’attendais pas spécialement à ce que ça puisse arriver dans le tournoi, enfin, je veux dire, pas de cette manière-là. Est-ce si fréquent ?"

"Oh, ça dépend de nombreux paramètres. L’âge, l’habitude, , l’entraînement en amont, la nature des épreuves… Les blessures ne sont pas une rareté, effectivement, ce tournoi est avant tout conçu pour faire éclore les jeunes talents et également mettre en valeur les plus doués d’entre nous. Le prestige qui en ressort rejaillit ensuite sur le temple auxquels appartiennent les meilleurs. Tu as dû avoir une explication du système. Le niveau est placé haut volontairement, les blessures sont donc, bien sûr, plus fréquentes chez les jeunes."

Il le pria d’attendre une minute, le temps d’aller voir à côté si Sengoku dormait bien ou au moins, qu’il se reposait. Voyant qu’il était éveillé, il proposa alors à Isami de venir le rejoindre, afin qu’il soit complètement rassuré par lui-même. Leur jeune élève était bien pâle, mais au moins, il respirait correctement et semblait un peu mieux qu’à son arrivée. Kenshin s’agenouilla près de son patient pour prendre son pouls et vérifier sa respiration.

"Eh bien, Hidehisa-san, tu as eu tout de même de la chance et tu peux remercier ton jeune ami ici présent pour avoir apporté les premiers soins. Ta plaie à la jambe n’est pas si sévère, mais elle est large, tu auras besoin de te reposer et de ne pas trop appuyer sur ta jambe durant quelques temps. Pour aujourd’hui, tu vas rester ici, avec nous, le tournoi est terminé. Je vais demander une voiture pour que tu sois raccompagné au temple, après que tu te sois reposé."

Il lui tapota l’épaule, avec un sourire encourageant, puis il laissa ensuite les deux garçons ensemble, pour le moment. L’un devait se calmer et finir son thé, l’autre devait se détendre et se reposer. Qu’ils parlent un peu, sans adultes autour, pouvait les aider autant l’un que l’autre.

On l’installa allongé sur une couche épaisse, dans une pièce bien chauffée… A peine conscient, Sengoku se battit contre lui-même pour comprendre ce qui se passait autour de lui malgré tout. Il avait tellement mal au crâne et à la jambe… Un visage flou apparut au-dessus de lui. Battant des paupières, il mit un petit moment avant de reconnaître un des maîtres du temple. Son aîné lui enleva sa botte avec précaution puis remonta le pantalon jusqu’à la cuisse. Durant ce temps, le jeune homme s’appliquait à respirer doucement et à rester conscient. Il entendait la conversation près de lui, sans la comprendre vraiment, pas mal sonné. Il sentait l’eau s’écouler contre la blessure… Son corps criait douleur, pourtant, il ne bougeait pas d’un pouce, sachant bien que ça allait passer. Il referma les yeux, pour éviter la lumière, et un peu plus tard, lâcha un bref et petit gémissement, quand le médecin vint palper doucement l’arrière de sa tête, en quête d’une bosse, sans doute.

Il lui mit de la glace dessous, quelques instants plus tard, et s’occupa aussi de suturer et panser sa jambe. Sengoku, de son côté, avait fini par laisser tomber l’idée de comprendre ce qui pouvait bien se passer exactement pour le moment. Il sentit juste à un moment qu’on lui fit glisser un liquide très amer et immonde, entre les dents, avant que le silence ne revienne. Il rouvrit les yeux au bout d’une ou deux minutes, voyant qu’on lui avait mis une couverture épaisse sur lui. Toujours un peu hébété, il ne tenta pas de bouger, encore moins de se lever. Sa jambe lui faisait toujours mal mais ce n’était plus aussi corsé. Un moment indéfini plus tard, le médecin revint. Suivit par Isami. Oh, il était resté un peu ? C’était sympathique, ça ! Son regard se tourna vers son aîné, qui prenait son pouls. Ça… allait bien, maintenant. Enfin, mieux que toute à l’heure, en tout cas. Il avait été pas mal sonné, mais ça aurait pu être beaucoup plus grave que ça.

Eh bien, Hidehisa-san, tu as eu tout de même de la chance et tu peux remercier ton jeune ami ici présent pour avoir apporté les premiers soins. Ta plaie à la jambe n’est pas si sévère, mais elle est large, tu auras besoin de te reposer et de ne pas trop appuyer sur ta jambe durant quelques temps. Pour aujourd’hui, tu vas rester ici, avec nous, le tournoi est terminé. Je vais demander une voiture pour que tu sois raccompagné au temple, après que tu te sois reposé.

Ah… Il hocha la tête, sans rien dire tout de suite, puis le docteur les laissa tous les deux. Quelques jours de repos, donc, ce n’était pas le genre de nouvelles qu’il aimait beaucoup entendre, tant il détestait devoir rester allongé dans un lit sans rien faire. Se retrouver blessé même pas vingt minutes après le lancement officiel du tournoi, c’était… Bon, bref, ne pas trop penser à ça.

Un très grand merci pour ton aide, Yoshitsune-san.

Même s’il ne pouvait pas encore trop forcer la voix, le garçon était assez proche pour bien l’entendre. Sengoku remarqua alors, avec amusement, que le docteur lui avait fourré sa « tisane spéciale » entre les mains, il pourrait la reconnaître à l’odeur à dix kilomètres. C’était toujours celle-ci qu’il préparait pour les jeunes, et les adultes, trop tendus ou stressés à son goût. Il la donnait aussi à ceux et celles en pleine convalescence, pour les aider à récupérer.

Mais… Attends, tu ne vas pas avoir de problèmes, pour t’être arrêté à cause de moi, j’espère ?

Le jeune garçon ne savait plus très bien ce qu’il devait penser de tout ça. Si tout était monté en flèche et créé très difficile d’emblée, pourquoi ils laissent les jeunes participer dès quinze ans, alors ? C’était quoi l’intérêt ? Alors, oui, il y avait des gens très doués à son âge, mais ce n’était pas une majorité ! « Faire éclore les jeunes talents »… Il n’était pas très convaincu, mais bon, soit, ne rien dire. Il baissa la tête pour boire une petit gorgée de temps, puis se redressa quand le médecin lui dit qu’il pouvait venir voir le blessé à côté. Il suivit avec la tasse et adressa un petit sourire au garçon, tandis que le médecin allait l’examiner à nouveau. Il se sentait un peu mieux ? Il était super pâle, quand même. Enfin, heu, oui, c’était normal, ça, réflexion stupide. Hidehisa, donc… Isami se sentait soulagé d’enfin connaître son nom, ça sera bien plus respectueux de l’utiliser que de toujours dire « le garçon », même en pensée.

Le docteur les laissa ensuite soudainement seul, avec un petit sourire. Resté planté là, Isami fit la navette du regard entre la sortie et Hidehisa-san, bouche bée, l’espace d’un instant. Et là, il était censé faire quoi ? Avaler le thé en une minute chrono puis sortir ? Ou il pouvait parler au blessé ? Il se retourna vers ce dernier quand il le remercia, lui adressant un petit sourire en répondant que c’était tout à fait normal, que n’importe qui aurait réagit de la même façon, puis décida finalement d’aller s’asseoir près de lui. Au moins le temps de boire le contenu de sa tasse, mettons… Et puis, il n’était franchement pas pressé de remettre les pieds au tournoi. Même si c’était important, qu’il avait un devoir de participation, il n’avait pas la moindre envie d’y retourner… Déjà que le cœur n’y était pas, de base, c’était encore pire maintenant.

– Mais… Attends, tu ne vas pas avoir de problèmes, pour t’être arrêté à cause de moi, j’espère ?

– Heu… Je ne sais pas… J’ai dû être disqualifié pour l’épreuve à cheval, c’est tout. C’est bon tout de même, je n’étais pas des plus à l’aise, et puis, je ne pouvais pas simplement poursuivre ma route, comme ça, aussi simplement, après avoir assisté à l’accident.

Il s’interrompit pour boire une gorgée du thé puis retint d’extrême justesse une lourde grimace en sentant le goût. C’était fort et amer ! D’accord, les remèdes et les médicaments n’avaient jamais un très bon goût, cependant, là, c’était vraiment affreux ! Il exagérait peut-être, ça devait venir de lui, mais soit… L’idée de boire ça très rapidement en moins d’une minute, pour pouvoir repartir, s’était déjà envolée très loin de son esprit. D’habitude, pourtant, il adorait le thé vert, mais celui-ci… D’un petit geste qu’il espérait très naturel, Isami déposa doucement la tasse au sol, devant lui, et se lança plutôt dans le description des quelques événements que Hidehisa avait manqué, lorsqu’il était à peine conscient. Même si ce n’était pas grand-chose, au fond.

– C’est vraiment dommage que ça se soit passé de cette manière, pour toi… Tu avais l’air assez à l’aise, en plus, au début de l’épreuve, je te voyais filer, à quelques mètres devant moi. Comment se fait-il que tu ais chuté ?

Il ne lui semblait pas qu’il ait fait une faute, dans sa course, ou qu’il n’ait pas fait sauter son cheval à temps par-dessus l’obstacle. En tout cas, de ce qu’il avait pu observer durant sa propre course, tout en évitant de se faire mal lui-même. C’était inexplicable, à ses yeux, il en viendrait presque à croire que quelqu’un avait agit contre lui, pour le désamorcer exprès.

Heu… Je ne sais pas… J’ai dû être disqualifié pour l’épreuve à cheval, c’est tout. C’est bon tout de même, je n’étais pas des plus à l’aise, et puis, je ne pouvais pas simplement poursuivre ma route, comme ça, aussi simplement, après avoir assisté à l’accident.

Sengoku était quand même très touché, car même s’il y avait des personnes chargées de s’occuper aussitôt des blessés, que ce garçon ait pris la peine de stopper aussitôt pour venir l’aider, ça témoignait qu’il avait très bon cœur. Il lui sourit à nouveau, sourire qui se transforma en rictus et il faillit rire, en voyant très nettement que Yoshitsune faillit bien recracher la gorgée de thé sitôt en bouche. Trop fort et corsé pour lui ? Il fit mine de rien malgré tout, gardant un instant les yeux sur un bout de la couette le recouvrant, pendant que son comparse déposait la tasse devant lui, par terre. Il l’écouta lui décrire ce qui s’était passé, juste après la chute, là encore reconnaissant car il aimait bien ne pas avoir de « trous » dans ses journées, à combler. Même si on ne lui avait fait aucun mal durant ce laps de temps, évidemment, bien au contraire.

C’est vraiment dommage que ça se soit passé de cette manière, pour toi… Tu avais l’air assez à l’aise, en plus, au début de l’épreuve, je te voyais filer, à quelques mètres devant moi. Comment se fait-il que tu ais chuté ?

L’inattention, la fatigue… Je n’ai pas réussi à dormir la nuit dernière et pas très bien celles d’avant, un peu d’insomnie. Il n’en faut pas beaucoup plus pour commettre des erreurs ensuite et se blesser. C’est de ma faute, je n’ai pas fait assez attention. Merci encore de t’être arrêté pour m’aider, c’est très gentil.

Il bougea juste un peu pour bien se mettre, assez droit, et ne pas en plus se refaire mal au dos. Son corps le lançait de partout, mais au moins, il ne se sentait plus aussi engourdi et nauséeux que toute à l’heure. Avec un peu de repos, comme avait dit le médecin, ça passera mieux. Par contre, devoir rester au lit, ça… Même si ce n’était que l’affaire d’une semaine ou deux, ça restait bien trop long. Ah bon sang, pour se blesser aussi stupidement rapidement, il fallait quand même le faire ! Maintenant, il avait envie d’en apprendre un peu plus sur son interlocuteur, sa curiosité s’était réveillée. Ils avaient si peu d’occasions d’échanger avec des membres des autres temples, à part les occasions comme celle-ci, étant donné que les missions communes n’étaient pas plus aussi fréquentes. Ça lui rappelait la conversation d’il y a quelques jours avec Shingen, tiens, cette affaire-là.

Alors, quel est ton don, l’eau ou la terre ? Tu as déjà pu réaliser quelques missions du calibre de ce tournoi ou pas encore ? Ou tu as pu mener des missions communes avec d’autres temples ?

Il se retint de justesse de lancer les dizaines d’autres questions qui lui étaient venues dans la foulée, histoire de ne pas effrayer son camarade et aussi lui laisser le temps de répondre. Désolé, mais une fois sa curiosité éveillée, impossible de l’arrêter ! Il avait déjà eu des ennuis à cause de ça, sur le terrain, et était incapable de se contrôler.

Eh bien, de rien, c’était tout à fait normal. En tout cas, s’il souffrait d’insomnies, il lui faudra peut-être plus de temps que prévu pour récupérer. Un peu soulagé qu’il n’y ait pas d’histoire d’agression surprise derrière tout ça, Isami se détendit un peu. Un simple accident, finalement, qui aurait pu être beaucoup plus grave, le tout dans un contexte où ce type de blessures était assez fréquent. Au fond, il préférait encore être « caché » ici plutôt que dehors à suivre les épreuves. Et tant pis si c’était lâche. Déjà qu’il n’avait pas l’esprit de compétition, alors un coup pareil dès le début, c’était déjà suffisant pour le démotiver. Après avoir reprit sa tasse, il se força à boire une nouvelle gorgée, plus longue cette fois, et sans grimacer, s’il vous plaît merci. L’amertume du breuvage lui arracha une nouvelle fois un lourd frisson, en même temps, la chaleur lui faisait du bien. Même l’odeur n’était pas si mauvaise, vraiment, c’était juste le goût qui peinait à passer.

– Alors, quel est ton don, l’eau ou la terre ? Tu as déjà pu réaliser quelques missions du calibre de ce tournoi ou pas encore ? Ou tu as pu mener des missions communes avec d’autres temples ?

Oh là ! Heu, d’accord, bien réveillé, hein. Isami ne s’était pas attendu à se voir poser autant de questions à la suite et pensait plutôt que son jeune camarade allait finir par tomber endormi. Il sourit un peu, puis lui répondit d’abord qu’il maîtrisait la terre. Même si « maîtriser » était encore un bien grand mot ! Leurs maîtres ne cessaient de leur répéter que bien des années étaient nécessaires avant la bonne maîtrise d’un élément et bien des années encore pour le porter à un haut niveau. Sans oublier le niveau de puissance personnelle de chaque individu, qui jouait énormément dans toute la phase d’apprentissage. Isami ne se sentait pas capable, pas encore en tout cas, d’attendre un niveau qu’on pourrait facilement qualifier d’élevé. Pas à son âge. Sans compter qu’il n’était pas non plus né avec un puissant attachement à l’Orm. Certains râlaient, là-dessus, ou étaient vexés, plus précisément. Mais ça, pourtant, on ne choisissait pas ! On naissait puissant dans l’Orm ou naissait plus faible, c’est tout. Même tout l’entraînement du monde ne pouvait vous faire dépasser ces limites de votre naissance.

– Je n’ai jamais fait de missions vraiment dangereuses, encore. C’est arrivé une fois ou deux qu’on se retrouve en difficulté, mais ça n’a jamais été très grave ou vraiment dangereux. Enfin, assez dangereux pour être blessé gravement, voire pire encore. Je n’ai pas encore eu l’occasion de faire des missions communes avec des garçons d’autres Temples. J’aimerai…

Par curiosité, surtout, savoir comment les autres se comportaient en mission, leurs méthodes, et aussi parce qu’il aimait bien observer certains éléments en action. Surtout le feu et l’eau. Il les trouvaient magnifiques ! Quand les sorts étaient jetés, puissamment, que le tout s’envolait en larges bourrasques, avec un bonne maîtrise, ça le fascinait énormément. Même si, malgré ça, il n’était pas pressé pour autant de foncer les deux pieds joints dans une mission très dangereuse. Jusqu’alors, ils avaient toujours eu un senior plus expérimenté avec eux, ou à proximité, avec eux. Seuls, en petits groupes d’adolescents de quinze et seize ans, comment cela pouvait-il se passer ?

– Comment cela se passe, dans ton Temple, il y a un âge minimum avant de partir au travail sans être accompagné par un aîné ? J’ai entendu dire, un peu comme tout le monde, que la discipline était très stricte et dure, à Moeru Kumo. C’est vrai que vous avez plusieurs centaines de règles ?

Discuter avec quelqu’un, c’était quand même mieux que de rester seul dans son coin à essayer de dormir un peu, en attendant d’être ramené au Temple. En plus, il était sûr que le médecin avait fait ça pour les forcer tous les deux à se changer les idées. Yoshitsune-san maîtrisait la terre, alors ? Il ne connaissait pas grand-chose sur cet élément-là et ce qu’on pouvait faire avec, par contre, il supposait que les entraînements devaient être un peu moins agités que les leurs. En toute logique ! Les dons défensifs étaient censés être moins brusques pour leurs porteurs et pour l’entourage de leur porteur aussi. C’était aussi pour ça qu’il essayait d’en savoir plus ! A ses yeux, c’était un handicap, de ne pas plus informé que ça, car le jour où ils devront coopérer au travail avec des géomanciens ou autres, ils n’arriveront pas à bien se coordonner, s’ils n’en savaient pas assez les uns sur les autres. A ce moment-là, ils risquaient d’avoir de gros ennuis.

Je n’ai jamais fait de missions vraiment dangereuses, encore. C’est arrivé une fois ou deux qu’on se retrouve en difficulté, mais ça n’a jamais été très grave ou vraiment dangereux. Enfin, assez dangereux pour être blessé gravement, voire pire encore. Je n’ai pas encore eu l’occasion de faire des missions communes avec des garçons d’autres Temples. J’aimerai…

Moi aussi.

Il avait l’air encore plus jeune, quand il parlait comme ça ! Enfin, c’était bien à lui de dire ça… malgré ses dix-ans, personne ne lui donnait plus de quatorze ou quinze ans, en le voyant pour la première fois. A cause de ça, en mission, les gens avaient le plus grand mal à le prendre au sérieux. Ça l’avait souvent agacé, puis il avait fini par se faire une raison. Après tout, dans certaines circonstances spécifiques, cette apparence juvénile et innocente avait aussi des avantages. Par exemple pour se glisser entre les gens sans qu’on ne se méfie de lui ou pour obtenir des renseignements ici et là. Les gens se disaient « Voilà un petit garçon tout mignon, un enfant, il est sûrement innocent ! ». Il grossissait un peu le trait, bien sûr, mais ce n’était quand même pas loin.

Comment cela se passe, dans ton Temple, il y a un âge minimum avant de partir au travail sans être accompagné par un aîné ? J’ai entendu dire, un peu comme tout le monde, que la discipline était très stricte et dure, à Moeru Kumo. C’est vrai que vous avez plusieurs centaines de règles ?

Eh bien… Oui. Sengoku hocha la tête, avec un faible sourire, et commença par lui dire qu’on s’y habituait, une fois sur place, à respecter toutes ces règles, et que c’était aussi ça qui vous forgeait une discipline personnelle. Il savait bien de quoi il parlait, il avait eu une de ces difficultés avant de la gagner, cette fameuse discipline ! Ah là là, non, vraiment, pas envie de trop repenser aux multiples fois où ne pas réussir à s’y conformer lui avait valu pas mal d’ennuis. Toute ça avait été un mal pour un bien, car plus un aéromancien ou un pyromancien était discipliné, mieux il parvenait à maîtriser son pouvoir.

On peut commencer les missions plus dangereuses assez jeunes, à partir du moment où est prêt. Et tout dépend aussi du travail à effectuer. C’est un système… de mérite, quelque part, je ne sais pas vraiment comment l’expliquer. Selon nos aptitudes, les techniques maîtrisées et le comportement, nos aînés nous attribuent des missions, seuls ou en groupes, à effectuer. Un aîné nous accompagne si nous n’avons jamais été confronté à un cas particulier, pour guider ou épauler, ou lorsque certains détails sont très particuliers. Le but est de nous rendre le plus autonomes possible. Les seniors ne cherchent pas à nous déstabiliser, sur le terrain, mais en entraînement, ils font tout pour nous forcer à puiser dans toutes les ressources possibles et être inventifs.

Les entraînements avaient toujours été très durs, d’aussi loin qu’il s’en souvienne, même si pour certains, ils n’en ressortaient pas en nage et tenant à peine debout. Le tout était de trouver un équilibre. En tout cas, avec cette blessure, il ne pourra reprendre l’entraînement prévu si vite.

On nous apprend aussi à gérer le stress et la nervosité, ajouta-t-il avec un nouveau petit sourire. Tu sembles en avoir besoin aussi.

Sérieusement, quoi, mais les pauvres !! Isami était quasiment sous le choc, de se voir confirmer que c’était vrai ! La première fois qu’on lui avait dit ça, il avait cru à une blague, lui ! S’habituer ou pas, quelle horreur, autant de discipline, brrr. Il se força à boire un peu de thé pendant que le garçon répondait sur le reste. Ça avait l’air pas mal différent de ce qui se passait ici, si eux se basaient avant tout sur le mérite et les compétences acquises avant de se préoccuper de l’âge. Alors qu’ici, les aînés considéraient qu’un certain nombre d’étapes devaient être franchies, à tel âge puis tel âge, et qu’il revenait à chacun de se débrouiller pour obtenir un bon niveau avant la date butoir. Quitte à s’épuiser en entraînements personnels supplémentaires. Il ne saurait pas dire quel système était le meilleur, par contre, il avait plutôt l’impression que tous avaient de grandes qualités et de grands défauts allant avec. Quoi que, c’était rassurant, rien ne pouvait jamais être parfait.

– On nous apprend aussi à gérer le stress et la nervosité, ajouta-t-il avec un nouveau petit sourire. Tu sembles en avoir besoin aussi.

– C’est déjà un sujet que je gère bien, merci.

Admettre qu’il avait raison et que c’était un point très difficile encore pour lui ? Hors de question ! Isami savait bien qu’il se rajoutait sans doute tout seul une grande part de stress et de pression, évidemment, mais il n’était pas question pour autant de l’avouer à d’autres. Il finit d’un seul coup le contenue de sa tasse de thé, heureusement pas très grande, et cette fois, fut incapable de retenir une lourde grimace de dégoût. Un petit frisson l’agita puis il reposa la tasse dans un coin, là où ça ne gênera pas. Très bien… Il en avait terminé, et même s’il avait été sans doute exclu de la première épreuve, il était bien forcé d’aller participer aux autres. Son temple ne lui pardonnerait pas qu’il se cache dans un coin sans rien faire, même s’il n’avait aucune envie d’aller de nouveau dehors.

– Eh bien, à présent, je dois y retourner. Repose-toi bien, je te souhaite mes meilleurs vœux de rétablissement.

Il le salua correctement, une fois levé, puis repartit hors de la zone médicale. En rejoignant l’extérieur, il se sentit se crisper un peu plus, la crainte du début le reprenait. « Gérer le stress et la nervosité »… Cette petite phrase lui tournait en boucle dans un coin de la tête, maintenant ! En plus, il n’était pas si nerveux… Pas tant que ça… Tout en marchant, il baissa le regard pour regarder ses mains, notant les légers tremblements qu’il ne pouvait pas contrôler. Il n’avait même pas peur de la blessure, en plus, il avait peur de… De… De décevoir. De ne pas être à la hauteur de ce qu’on attendait de lui. Déjà, lorsque ses oncles apprendront qu’il avait abandonné la première épreuve pour aller aider quelqu’un, alors que d’autres personnes avaient déjà cette charge et surveillaient les blessés, ils seront loin d’être ravis. Ils lui diront que les arbitres étaient là pour ça, qu’il avait perdu son temps et fait honte au temple… Il les entendaient déjà d’ici.

Il lança un long regard par-dessus son épaule, vers la maison des soins, puis le reporta sur le chemin pavé droit devant lui. Ça lui avait paru tellement évident et logique de s’arrêter aussitôt, sur le coup, et même le médecin là-bas lui avait dit qu’il avait bien agit. S’il le précisait à ses oncles ou à ses mentors, peut-être accepteront-ils de ne pas trop se fâcher ? Il l’espérait…