Reprise de l'entraînement

Retrouver Gabriella au milieu de tout ça n’était pas une mince affaire, y compris quand on possédait des indications précises. A leur arrivée, il avait d’abord cru qu’il s’agissait là d’une ancienne usine, mais en réalité, il s’agissait d’une mine. Les bâtiments désaffectés où ils avaient élu domicile, presque entièrement avalés par la nature et le temps, n’étaient qu’une petite partie de cet immense complexe, le plus important se trouvait sous terre. Il n’imaginait même pas le travail monstrueux qui avait dû être nécessaire pour sécuriser les galeries, avec les inévitables poches de gaz, les risques d’effondrement et autres divers problèmes. C’est là que les élémentaires Terre pouvaient fournir un travail tout à fait essentiel et formidable, sans nul doute. Mais bref, en attendant, dans ce dédale, il s’était déjà perdu… Et ce n’était pas si évident de communiquer avec ceux qu’il croisait. D’accord, il parlait le Français, enfin, hum, il parlait les bases du Français, mais avait besoin qu’on lui parle lentement, sans utiliser de mots trop compliqués. Or, les Français et parler lentement, ce n’était pas une folle histoire d’amour.

Bref, s’y retrouver. Il descendit un long escalier de ferraille branlant, puis se dirigea vers la petite aile où des « appartements » de fortune avaient été créés. En fait, il s’agissait de sortes de chambres communes, avec des lits de camp, un espace pour la cuisine, des sanitaires de chantier… mélange entre camping et installation de fortune, tout sauf confortable, mais qui faisait bien l’affaire pour des personnes en fuite. Le confort n’était de toute façon clairement pas la priorité, pour qui que ce soit, ici. Il s’y fraya un chemin, se faufilant entre les hommes pressés transportant il ne savait quoi et les autres, dont la plupart étaient blessés, qui avançaient plus lentement. C’est en passant deux grosses portes de fer laissées ouvertes, traversées par un rail endommagé, qu’il se retrouva enfin. C’était là qu’il devait retrouver la jeune mère. Voyons… Il plissa les yeux pour tenter de lire les numéros au-dessus des portes, presque effacés, ou enfouis sous la poussière plutôt, pour se repérer. Cet endroit… l’angoissait assez… Les bâtiments désaffectés, ça n’avait jamais été ses endroits favoris. Surtout pour y demeurer.

Il n’allait pas s’éterniser ici, de toute façon, simplement le temps qu’il fallait à Gabriella pour donner la vie à son troisième enfant, puis repartir au pays en emmenant le bébé au loin, avec lui, en sécurité, comme l’étaient déjà son frère et sa sœur. Il se sentait très triste, à y penser… Le père de ces trois enfants était mort, leur mère risquait à tout instant de mourir aussi, tous les trois devront vivre et grandir à des milliers de kilomètres de leur pays natal, arrachés à leurs racines, pour leur propre bien… Si ses propres enfants avaient dû être envoyés ainsi, si loin de lui, sans savoir s’il allait les revoir un jour, il ignorait s’il aurait réussi à le supporter bien longtemps. Amer, il poussa enfin une porte de métal grinçante, retrouvant Gabriella occupée à un bureau un peu plus loin. Les traits tirés et épuisés. En s’approchant pour la saluer, il fut au moins soulagé qu’elle ne soit pas blessée. En rentrant plus tard, quand Solène lui demandera des nouvelles de sa sœur, il aimerait pouvoir lui dire qu’il en était toujours ainsi.

– Tout va bien ? demanda-t-il ensuite en s’asseyant sur une petite chaise de bois, près du bureau. Et votre enfant ? Vous le sentez bien bouger ?

La nouvelle venait de tomber et avait été confirmée. Alan était bel et bien mort. Il avait été tué au cours d’une mission, d’une balle en pleine tête, et Jasper, avec lui, avait juste eut le temps de s’enfuir, après avoir été touché. Kimmitsu était parti le récupérer, il le ramènera ensuite ici le temps qu’il se repose. Gabriella se frotta doucement les yeux et le visage, après avoir reposé le rapport sur le coin de son bureau, silencieuse. Alan avait déjà eu le temps de former pas mal de personnes, il avait été un bon meneur d’hommes et avait participé à l’élaboration des plans de sabotage, contre les infrastructures de transport de l’Est. Et voilà qu’il était mort à son tour… Elle reposa la main contre le bureau, le regard posé sur le rapport, une partie d’elle se disant qu’il fallait une nouvelle personne pour le remplacer à son poste, une autre partie soulagée, pour lui, qu’au moins il ne souffre plus. Après tout ce qu’il avait subi, au cours de sa vie, c’était, quelque part, un soulagement que tout soit terminé. Aujourd’hui, s’il existait vraiment encore un Dieu, il pourra enfin trouver la paix.

Le travail à effectuer reprit le pas très vite, néanmoins, sur ces nouvelles. Elle ne pouvait juste pas prendre le temps de pleurer ou autre, c’était comme ça, c’est tout. Pour le moment seule, dans ce « bureau », elle poursuivait le travail pour une meilleure organisation de la résistance. La clé se trouvait dans le ravitaillement et la distribution des ressources en en arrière-plan. Il ne servait à rien d’avoir des hommes et des femmes sur le terrain s’ils n’avaient pas de soutien, s’ils n’étaient pas armés, pas nourris, s’ils n’avaient pas d’endroit où se cacher et se reposer, s’ils ne pouvaient pas recevoir des médicaments. Ils restaient encore faibles sur ce genre de chose, c’était tout de même terrible. Le système D et la débrouille personnelle, ça allait bien cinq minutes, ça ne suffisait plus du tout lorsque les combats prenaient plus d’envergure. Elle y travaillait depuis une heure quand un de ses hommes vint lui apporter un nouveau petit dossier, avant de s’éclipser. Dedans, une longue lettre, signée par de multiples noms, ainsi que des photos de corps, prises de loin, entourées par des soldats de l’armée régulière.

Elle comprit assez vite de quoi il s’agissait, c’était à nouveau une demande collective d’engager plus d’efforts et de moyens pour récupérer les corps de ceux tombés au combat, avant que l’armée ennemie ne puisse le faire et ne les jette dans des fosses communes, sans aucune cérémonie, sans identité, sans rien. C’était un problème dont ils avaient déjà parlé plusieurs fois et cherché des solutions… Sauf qu’il n’y en avait aucune de valable. Comment, sur un champ de bataille, alors que vous étiez sous le feu ennemi, allez récupérer le corps d’une personne, sans être tué vous-même au passage ? Et lorsqu’ils pouvaient le faire, les personnes étaient enterrées sur le bord de chemins, dans des forêts, des champs… Parfois brûlés, ou recouverts de chaux vive, comme devaient souvent le faire les hommes ayant déjà vécu ça durant la Grande Guerre. Bradley en avait beaucoup parlé et lui non plus ne voyait pas de solution idéale, encore moins au coeur d’une guerre civile qu’au coeur d’une boucherie comme la Grande Guerre. Car ils avaient encore moins de moyens à leur disposition.

La demande de faire rapatrier les corps dans leurs villages et villes de naissance, pour y être enterrées avec décence, était plus que légitime. Dans la réalité du terrain, c’était très souvent impossible. Mourir deux fois, comme disait Bradley… Elle n’avait pas de solution à apporter, et pourtant, ce problème pouvait leur exploser à la figure, tôt ou tard, amener une révolte dans leurs propres rangs, si la situation se crispait beaucoup trop. Elle fut tirée de ses réflexions par deux petits coups donnés contre la porte en métal, puis par l’entrée de Josuke. Ah, oui, c’est vrai qu’ils devaient se voir ce matin pour un entraînement. Elle lui rendit son salut, en essayant de ne pas trop montrer sa fatigue. Puis rangea les dossiers en cours, sur ce bureau, alors qu’il venait de s’asseoir. La lettre fut glissée dans le dossier, avec les phots, ce n’était pas quelque chose que Josuke devait forcément voir. Il y a des images, comme celles-ci, qui ne devaient pas être exposées aux civils. Qu’ils puissent conserver une part d’innocence.

– Tout va bien ? Et votre enfant ? Vous le sentez bien bouger ?

– Oui, il bouge assez régulièrement, je pense qu’il doit être en bonne santé.

Inutile de répondre à la question pour elle-même. Elle n’était même pas certaine qu’elle se sentira à nouveau « bien », si elle se sortait vivante de toute cette histoire, un jour ou l’autre. Et elle aimerait qu’on ne lui pose plus cette question, de toute manière. Mis à part mentir, pour couper court, ou bien répondre franchement et rendre la personne en face malade elle aussi, que pourrait-elle faire ? Bref. Elle se leva et dit à Josuke de la suivre, ce n’était pas dans ce petit bureau qu’ils allaient pouvoir passer à l’entraînement. Ce n’était pas le premier qu’elle lui faisait suivre, depuis qu’il était arrivé en France, et ce n’était pas non plus quelque chose de très traditionnel. Plutôt une petite formation très accélérée, pour les bases les plus pures, et il devra bien sûr poursuivre une fois rentré au pays, seul ou non. Non loin de la mine et de leur abri, au cœur de la forêt, ils trouvaient une cascade et un petit lac. C’était ici qu’ils venaient pour s’entraîner.

– Nous allons d’abord reprendre l’exercice de la dernière fois, mais essayez de vous détendre… Il ne va rien arriver à personne, et si vraiment un souci se passe, je pourrai reprendre le contrôle de la situation.

Le bébé allait bien, parfait, mais sa maman ? Elle ne répondit pas là-dessus, alors que c’était tout de même important, se contentant simplement de se lever et lui faire signe de le suivre. Dans son dos, Josuke secoua la tête avec lenteur, autant fatigué qu’un peu blasé, par cette attitude. Son propre état influençait beaucoup celui de son bébé, il ne fallait tout de même pas prendre une grossesse trop à la légère… Il voudrait qu’elle le comprenne, qu’elle se repose bien plus, qu’elle prenne soin d’elle, et dans le même temps, ne se sentait pas le droit de lui dire ça cela, surtout de cette façon. Ils n’étaient pas assez proches et il ne pouvait non plus tout comprendre de la situation dans laquelle elle évoluait. Assez pensif, il retint donc la moindre remarque, tandis qu’il la suivait dans les longues coursives de la mine, puis à l’extérieur. Ils s’engagèrent sur un sentier de forêt, sinueux et cahoteux, sans doute tracé par des animaux plutôt que par l’homme. Une personne non habituée se perdrait très facilement, tant cette forêt était épaisse et profonde.

A un quart d’heure de marche de la mine et son complexe, tout autant enfouis dans les bras, ils trouvaient une petite cascade, avec un lac, ou plutôt un étang, étant donné sa taille. C’était ici qu’ils venaient tous les deux, lorsqu’elle l’entraînait, et ici qu’il avait mené ses premiers exercices. Josuke se sentait un peu nerveux, en s’arrêtant sur le rebord de l’étang, face à la cascade bruissante. Au fond, son don continuait de lui faire peur, lorsqu’il devait l’utiliser, l’angoisse montait systématiquement. D’abord des picotements au bout des doigts, puis le rythme cardiaque qui s’emballait, une respiration plus courte et plus rapide. Il était clair qu’il n’aimait pas ça, et pourtant, il n’avait plus le choix, s’il ne voulait pas être un danger pour les autres ou pour lui-même. Il aimait beaucoup l’eau, bien sûr, et ce genre d’endroits, mais la manipuler, c’était une autre affaire… Un vent léger et frais les accompagnaient, aujourd’hui, avec le soleil se reflétant contre l’eau, produisant comme une nuée de diamants. Le son de la cascade, tombant dans le petit lac, avait un effet apaisant.

– Nous allons d’abord reprendre l’exercice de la dernière fois, mais essayez de vous détendre… Il ne va rien arriver à personne, et si vraiment un souci se passe, je pourrai reprendre le contrôle de la situation.

Effectivement… Il avait, lui aussi et comme un peu tout le monde d’après ce qu’il avait pu comprendre, tendance à oublier que le second pouvoir de la dame était bel et bien l’eau. Chacun était tant habitué à la voir manipuler la foudre… Il avança encore d’un pas sur la berge, ferma les yeux et prit une longue inspiration. Une main tendue vers le lac, il commença par « assembler » une masse d’eau, depuis les profondeurs, et la remonter vers la surface. Une masse qui jaillit soudainement comme un petit geyser, agitant brusquement les flots. Il voudrait être plus doux, mais pour le moment, il allait se contenter de ça. Tenant cette eau d’une main, il leva l’autre pour lui donner sa forme, agitant et bougeant les doigts et la paume comme il l’avait appris. Peu à peu, il sculpta une forme humaine avec l’élément, puis, par la suite, des formes d’animaux ou de plantes. S’il parvenait à s’en sortir avec ça, ce n’était pourtant pas très rapide. Ce type d’exercice servait avant tout à apprendre à manipuler facilement son élément et le soumettre à sa volonté, bien avant de parler de rapidité ou autre chose.

Il tenta bien de ne pas trop traîner, pourtant, ça n’avait rien d’évident, son don lui échappait dès lors qu’il voulait s’y prendre un peu plus vite. Pour le moment, contraint et forcé, il devait prendre tout son temps pour réaliser au mieux toutes les formes demandées. A la fin de ce premier exercice, il était tout de même satisfait, car il ne ressentait pas autant de fatigue, après simplement ça, que lors des premières séances. Bien au contraire ! Il se sentait bien, encore en forme, même mieux que lors de leur arrivée. Comme si son pouvoir, bien réveillé, pulsait en lui au même rythme que son cœur. Une sensation bien loin d’être désagréable, qu’il préférait bien sûr à l’angoisse première. Content de lui, il écouta sa mentor du moment pour la suite, après avoir relâché l’eau. Ce sera sans doute plus compliqué, une fois rentré chez lui, mais au moins pourra-t-il s’exercer très librement, sans la moindre crainte, en pleine nature. Ici, ils devaient prendre garde à tout.. La prudence la plus extrême était capitale, pour s’en sortir, ils ne pouvaient se permettre d’exercer d’entraînements trop brutaux, en pleine nature, au risque d’être repérés.

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Pouvoir : 6 ; Fatigue générée : 3

Ils se trouvaient dans un creux, littéralement, une toute petite vallée, étroite, avec la cascade masquant les bruits aux alentours. Entourés par de hauts sapins et frênes, avec en sus une légère brume formée par le choc de l’eau. En temps de paix, un endroit très agréable où se reposer après ne longue randonnée, en temps de guerre, un endroit idéal pour les entraînements des aquamanciens. Gabriella gardait une partie de son attention sur son élève du moment, histoire d’intervenir en cas de perte de contrôle, et surtout, conservait une plus grosse attention encore à la surveillance des lieux. Si Josuke perdait la maîtrise, dans le pire des cas, ils finiront tous les deux trempés de la tête aux os ou pourront inonder un peu la zone. Mais si elle ne s’apercevait pas d’un problème extérieur, les conséquences pouvaient aller jusqu’à leurs morts. Qu’ils n’aient encore eu aucun problème dans les parages ne voulait strictement rien dire, bien évidemment, ils pouvaient être repérés à n’importe quel moment. Ou encore être trahis. Ce dernier cas était, pour elle, la seule raison possible ayant conduit à l’attaque de leur précédent quartier général.

Un très léger soupir lui monta aux lèvres, qu’elle ne laissa pas échapper, en observant Josuke former des sculptures d’eau au-dessus du petit lac, avec son pouvoir. Même s’ils remportaient cette guerre, le système d’une école dédiée aux élémentaires ne pourra pas plus exister. Il sera impossible de rassurer suffisamment, apporter des garanties, des preuves de confiance. Pas après tout ce qui s’était passé. Les écoles pour les gens comme eux étaient pourtant un système ancien et très développé, dans de nombreux pays du monde. Jusque là, peu de pays préféraient adopter d’autres système d’éducation pour leurs élémentaires. Or, en Europe comme ailleurs, depuis quelques années, ce système périclitait. Elle trouvait ça dommage, mais qu’y faire… Ils devaient déjà commencer à réfléchir à ce qui pouvait remplacer tout ça. Ils devaient mettre en place et proposer tout un nouveau système et l’entraînement des élémentaires en faisant partie. C’était bien beau de vouloir renverser un régime dictatorial, mais s’ils n’avaient rien de concret et solide à apporter à la place, ils ne feront que déclencher plus de chaos encore. Sans compter qu’il sera impossible de rallier la population à leur cause.

Une fois ce premier exercice terminé, elle lui indiqua la suite. Cette fois, un peu plus difficile, elle voulait qu’il puisse attraper des petits rochers avec son seul donc, au fond u lac, puis les remonter à la surface, avant de les pousser sur les bords de la berge opposée. Ça incluait être capable de localiser des objets par le biais de son seul pouvoir, de les saisir ensuite, et donc de se pouvoir « compacter » et diriger l’eau pour soulever des objets lourds, et enfin, de les diriger dans le sens voulu. Dans un premier temps, elle lui expliqua la théorie, comment s’y prendre pour la toute première étape. Josuke savait déjà comment prendre conscience de son pouvoir lui donner forme, il devait maintenant apprendre à utiliser cette conscience comme une extension de lui-même, une extension de ses sens. Ce n’était pas très facile à faire, au début, il fallait de l’entraînement. Elle lui fit faire modeler une petite boule d’eau entre ses mains, et la maintenir, debout face à lui. Toujours sans cesser la surveillance des alentours, évidemment. Même si d’autres personnes étaient aussi chargées de veiller sur la zone, on ne pouvait jamais être assez prudent.

– Un élément est gravé dans l’âme et le corps de son porteur. Il est une part de la conscience de son porteur. Une part qu’il revient à vous de canaliser et de contrôler, votre pouvoir doit être une continuité de votre conscience et ne pas vous envahir. C’est comme un membre supplémentaire, finalement, que vous devez maîtriser. En étendant votre emprise sur lui, vous pouvez toucher tout ce que votre pouvoir touche. Là, vous sentez le contact de l’eau, grâce à vos paumes. Vous devez vous concentrez sur le lien entre vous et votre pouvoir, pour sentir non plus une différence, entre la peau et l’eau, mais une continuité, comme si cette boule était part de votre corps.

Elle ajouta que ça ne pourra pas se faire en vingt secondes, qu’il ne s’inquiète pas. C’était là une part d’éducation et de formation qui prenait toujours un bon moment. Et c’était aussi littéralement l’une des premières leçons qu’ils enseignaient auparavant aux enfants de sixième, les petits de onze ans. Une fois passé l’étape du « je peux jouer avec mon élément et lui faire prendre les formes que je veux », il fallait faire accepter plus profondément le lien entre pouvoir et porteur. Ce n’était pas qu’une question de manipulation, un pouvoir devait être intégré dans l’esprit de son porteur comme une part de lui.

La suite de l’exercice le laissa d’abord dans un léger état de panique. Saisir des objets au fond d’un lac par la seule force de l’eau, puis les pousser, sachant qu’il ne pouvait voir directement ce qu’il faisait, qu’il devra faire évoluer son élément au milieu d’une autre masse d’eau et en plus, comme si ça ne suffisait pas, apporter assez de pression pour saisir les rochers, tout en combattant la pression déjà existante au fond du lac ?! Il l’écouta avec attention mais déglutit quelque peu, en imaginant la dose de concentration et d’énergie nécessaire à ça. Jusque là, la sujet des exercices qu’elle lui avait fait réaliser avaient tous servi à travailler sa concentration et sa dextérité, ainsi qu’à contrôler la masse de pouvoir désirée. Des bases encore peu ardues, avec plus de recul, mais jamais il ne s’était imaginé qu’on puisse ensuite faire ça avec l’eau. Pour la simple et bonne raison qu’il ne la maniait pas comme un élément solide, au contraire de la glace. Il se se sentait idiot de ne pas avoir pensé à la pression.

Levant les mains devant lui, coudes contre le corps, il créa, comme elle lui demanda, une boule d’eau compacte entre ses mains, suivant les instructions avec le plus de bonne volonté possible. Si lui était totalement plongé dans ces directives, il remarqua néanmoins que sa professeure du jour n’était pas totalement là. Fréquemment, elle lançait des regards autour d’eux, ou vers le ciel, surveillant sans doute le moindre signe d’alerte. Il ne se sentait pas lui-même très exposé, dans cette forêt… Une sécurité qui n’était qu’une illusion, ça, par contre, il en était bien conscient. C’était juste… Tellement difficile de s’imaginer, ou admettre, qu’ils pouvaient être attaqués à n’importe quel instant ! Surtout maintenant, tout concentré qu’il était sur ce pouvoir revenu, qu’il devait maîtriser, au moins ses bases, avant de rentrer au pays. C’était son seul objectif, ne plus être un danger pour sa famille ou qui que ce soit, reprendre son rôle et sa place comme il l’avait toujours fait, veiller sur les siens, travailler le plus normalement possible.

– Un élément est gravé dans l’âme et le corps de son porteur. Il est une part de la conscience de son porteur. Une part qu’il revient à vous de canaliser et de contrôler, votre pouvoir doit être une continuité de votre conscience et ne pas vous envahir. C’est comme un membre supplémentaire, finalement, que vous devez maîtriser. En étendant votre emprise sur lui, vous pouvez toucher tout ce que votre pouvoir touche. Là, vous sentez le contact de l’eau, grâce à vos paumes. Vous devez vous concentrez sur le lien entre vous et votre pouvoir, pour sentir non plus une différence, entre la peau et l’eau, mais une continuité, comme si cette boule était part de votre corps.

D’accord… Il comprenait que ça ne se faisait pas en cinq minutes, oui aussi, merci. Hochant la tête, il laissa la boule se diluer dans l’air puis revint vers le petit lac formé par la cascade. Il tendit doucement la main vers la surface de l’eau, les yeux fermés. D’abord « attraper » une part de l’eau, sous la surface, pour la modeler et la contrôler à son désir. Un exercice bizarrement plus compliqué. Créer une masse d’eau à partir de l’humidité dans l’air et sa propre énergie, issue de l’Orm, était finalement plus simple que de s’emparer d’une eau déjà existante… ?! Bon sang… Il s’évertua tout un moment, sans résultat, avant de changer de méthode. Plutôt que de prendre une masse trop importante, il tenta de créer une sorte de long bras en mouvement. Une extension de lui-même, avait-elle dit, être capable de ressentir ce pouvoir comme s’il maniait son propre bras. Plus facile à dire qu’à faire. Les minutes défilèrent sans qu’il ne parvienne vraiment à accrocher l’eau comme il le voulait. Ce lac semblait même se payer sa tête, devant ces essais infructueux, sa surface remuait presque paresseusement.

Il finit par demander d’autres conseils à sa mentor, être sûr qu’il s’y prenait bien et recommença. Sans un succès monstrueux, une fois encore. Ça avait beau être parfaitement normal, aucune technique d’un élément, quel qu’il soit, ne pouvait être maîtrisé à la perfection en si peu de temps, ça restait frustrant malgré tout. Il poursuivit ses efforts jusqu’au moment où la fatigue générée devint plus puissante que sa motivation. Jusqu’au moment où ses membres devinrent peu à peu soi lourds qu’il se mit à avoir du mal à bouger. Toujours avec cette même crainte de ne pas réussir à assez bien faire… Il tourna un regard désolé vers sa mentor, l’air de lui dire qu’il avait fait de son mieux et qu’il n’avait pas envie de l’agacer ou de décevoir. Un peu comme avec son père, finalement, il tirait de là cette peur de ne pas être à la hauteur, en réussissant pas immédiatement la tâche qui lui avait été confiée. Avec l’âge et le recul, et surtout quand il avait lui-même eu des enfants, il avait réalisé à quel point c’était idiot. Pourtant, cette peur ne parvenait pas à le quitter.

Entraîner des adultes était finalement plus reposant que d’entraîner des enfants, pour la simple et bonne raison qu’ils étaient moins dissipés et essayaient aussitôt de suivre les conseils donnés. Dans l’ex-école, même si elle n’avait pu donner que peu de cours sur la fin, elle en ressortait à chaque fois plus agacée qu’autre chose. Avec un pouvoir aussi dangereux que la foudre, jouer avec ne pouvait tout simplement pas se faire. Ce qui ne traversait pas souvent l’esprit de ces chères petites têtes blondes, hélas. Enfin bref. L’eau était moins dangereuse, lorsqu’on était seulement à ce stade-là, évidemment. Une fois qu’on savait comment s’en servir, cet élément devenait tout aussi dangereux et puissant que la foudre ou le feu. Ceux affirmant l’inverse étaient tout simplement incapables de manier l’eau à un niveau assez puissant, rien de plus. Prendre un mini raz-de-marée au beau milieu d’une rue était tout aussi surprenant et efficace que de recevoir un incendie sur la tête. Rien de tel pour dégager rapidement le terrain, repousser en un claquement de doigt voitures et hommes.

Son élève du moment poursuivit ses efforts jusqu’au moment où la fatigue prit visiblement le dessus. Peut-être lui en demandait-elle un peu trop d’un seul coup, à chaque nouvelle leçon ? Enfin, il y avait déjà un moment que l’entraînement avait commencé et ce n’était pas rien non plus. Il lui lança un drôle de regard, tout à coup, la poussant à se demander s’il pensait qu’elle allait encore lui demander de réaliser un autre exercice ou elle ne savait quoi. C’est bon, s’ils continuaient aujourd’hui, il risquait surtout de chuter dans le petit lac et y couler à pic. Ils continueront dès qu’il aura reprit un peu de forces, d’ici là, il avait aussi de la théorie à étudier en parallèle. Rentrer à la mine, en attendant. Elle lui fit signe de suivre, plutôt que rester planté sans rien faire. Il leur restait peu de livres sur les éléments, en plus… La majorité avait volé en cendres après l’attaque de la seconde école, brûlé par les obus ou transpercé par les balles, d’autres ensevelis sous le choc. Une perte sèche de savoir, tout à fait rageante, car plus ils voyaient les livres et documents d’entraînement disparaître, plus ils perdaient de force de frappe et de diffusion.

Certains tentaient de les réécrire et transposer les méthodes d’entraînement comme ils le pouvaient, experts ou non, car il fallait bien donner le plus d’outils possible au plus d’élémentaire possible. Peut-être qu’à la fin de cette guerre, grâce à l’aide d’autres pays, ils pourraient… Enfin… Elle soupira un peu tout en marchant, peu confiante encore sur cette idée. De retour à la cache, elle commença par faire signe à ses aides pour savoir s’il s’était passé quelque chose en leur absence. Rien à signaler. Très bien. Elle put donc l’esprit tranquille conduire Josuke dans la petite salle où ils conservaient ces fameux outils d’apprentissage théoriques et les méthodes d’entraînement, décrites avec soin pour chaque élément et pour la combinaison de deux. Une petite bibliothèque, somme toute, où à peine deux ou trois personnes pourraient confortablement s’installer pour y lire. En devant en plus faire avec les bruits sourds et proches, dans le couloir ou les pièces voisines. C’était bien loin d’être le terrain idéal pour l’étude, la salle propre, tranquille et isolée, propice à la concentration.

– Nous avons sauvé ce que nous avons pu, soupira-t-elle en désignant les ouvrages d’un geste de main. C’est assez peu, mais soit, disons que c’est toujours mieux que rien. Tout ce qui concerne l’eau se trouve ici.

Une dizaine d’ouvrages en tout, dont une bonne moitié traitait de techniques encore trop avancées pour Josuke. Il pourra néanmoins obtenir les exercices simples de base, ceux qu’on pouvait réaliser à l’intérieur, pour travailler autant la concentration que la dextérité et la rapidité d’invocation. Gabriella s’accroupit le temps de chercher le livre qu’elle avait surtout en tête, peu sûre qu’il ait survécu aux flammes de l‘attaque… Après deux ou trois minutes, elle le retrouva tout de même dans la pile et se releva, pour le tendre à Josuke.

– Vous ne pourrez pas l’emmener donc prenez des notes de tout ce dont vous avez besoin. Il y a aura un professeur pour cet élément, qui pourra vous aider, une fois de retour au pays ?

Retour à la mine, elle n’avait pas dit grand-chose sur sa performance du jour mais n’avait pas semblé inquiète ou en colère non plus. Cela signifiait qu’il s’en était bien sorti malgré tout ? C’était plus fort que lui, il avait toujours besoin de se sentir rassuré, besoin de savoir si ses efforts étaient payants ou non, hors, avec elle, il avait comblait difficilement de tels besoins. Elle parlait très peu lors des exercices, une fois les explications données et ne donnait pas de résumé général à la fin, ne serait-ce que pour lui dire s’il avait bien ou mal fait. Il allait demander, avait prononcé un ou deux mots, puis s’arrêta en constatant qu’elle ne l’écoutait pas, trop plongée dans ses pensées. Bon… Bien qu’il ait appris des éléments très importants avec elle, il avait malgré tout du mal avec sa méthode d’apprentissage. Il devait être très encadré pour progresser, c’était son mode de fonctionnement, habitué depuis tout jeune à cela. Lorsqu’on le laissait plus en roue libre lors d’un apprentissage, il devenait beaucoup plus anxieux. Peut-être était-ce idiot, enfin, c’était ainsi.

Une fois revenus dans la mine, après qu’elle ait fait une mise au point rapide sur la sécurité, elle l’emmena dans une petite pièce, assez étroite, servant de bibliothèque. Il fut d’abord surpris de découvrir un endroit pareil dans le quartier général actuel de la rébellion de cette région, puis compris bien vite qu’il s’agissait en fait des livres sauvés de la dernière attaque, pour l’apprentissage des éléments. Il en restait donc… si peu ? Pour être allé dans l’ancienne école, il gardait un bon souvenir de la bibliothèque de l’époque. Bien plus grande et riche que l’était celle-ci. Quelle tristesse… Gabriella aussi avait un ton amer en présentant le peu restant. Mieux que rien, peut-être, mais tout de même… Elle fouilla quelques instants dans les piles jusqu’à trouver et lui tendre un livre conçu pour les débutants, comme lui. Un livre qui, très visiblement, avait eu très chaud. Légèrement roussi et abîmé, sa couverture se décollait un peu, remise en place par un peu de colle. Il la remercia, en essayant de sourire, alors même qu’il était désolé de voir ça. Brûler des livres, brûler la culture, quelle honte infâme…

– Vous ne pourrez pas l’emmener donc prenez des notes de tout ce dont vous avez besoin. Il y a aura un professeur pour cet élément, qui pourra vous aider, une fois de retour au pays ?

– Oui, bien sûr, ce n’est pas un tabou de s’entraîner, chez nous. A vrai dire, une bonne partie de la population n’a pas grand-chose à faire des éléments, elle ne s’en soucie que lorsque cela la touche personnellement.

Mis à part les plus, disons, les plus traditionalistes, considérant ces éléments comme inutiles, voire très dangereux, qui préféreraient les voir disparaître à jamais de la surface de la Terre. Enfin… Il remercia la jeune mère pour la séance d’aujourd’hui, ces conseils ainsi que cet ouvrage, en lui assurant qu’il allait prendre soin d’étudier ici toute la théorie possible. Lorsqu’elle le laissa, il s’installa le plus confortablement possible dans cette petite pièce, trouvant aussi papiers et crayons dans un petit tiroir, sur le bureau posé là. Difficile de se sentir seul, ici, il ne cessait d’entendre du passage dans le couloir et divers bruits venant des salles voisines. Quelqu’un bricolait il ne savait quoi, non loin, le couloir résonnait de ses bruits de scie ou de marteau régulier. Tant de sons indiscernables à la surface mais si vifs, ici. Il devra bien s’y faire, le calme normalement accordé aux lieux d’étude n’était pas, de très loin, une priorité dans ce genre de lieux. Au moins se trouvaient-ils tous dans une relative sécurité.

Relative car il était bien conscient, hélas, qu’aucune cachette ne peut être éternelle… Cet endroit, aussi sûr soit-il, sera découvert et attaqué tôt ou tard, ce n’était qu’une question de temps. Josuke ferma un instant les yeux, les mains contre le visage et coudes contre le bureau. Il pensait à ce bébé, devant maintenant bientôt naître, qu’il devra presque aussitôt emmené avec lui, le séparer de sa mère… Même si cet enfant sera avec sa famille, par la suite, il n’en demeurera pas moins qu’il sera si tôt séparé de sa maman, dès ses premiers jours de vie. Comme son grand frère et sa grande sœur. C’était cruel. Un enfant qui en plus avait déjà perdu son père, avant même sa naissance. Josuke soupira à son tour, les larmes aux yeux en pensant à cela. Puis il se reprit et s’efforça de se concentrer sur son travail. Puisque le temps jouait contre eux, il n’avait pas le droit de se laisser aller. Il devait avancer.