Avril 1932. Les soucis mondiaux s'étendent.
 
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 Un monde troublé

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MessageSujet: Un monde troublé   Un monde troublé EmptyLun 16 Mai - 14:33

Marthe se pencha, tendant les deux mains pour prendre le bébé dans son berceau et le soulever avec délicatesse, le prenant dans ses bras en ramenant sur lui la petite couverture où il était enveloppé, le berçant avec lenteur. Ce bébé avait un regard intelligent, il la fixait de ses grands yeux en mettant son pouce dans sa bouche, ayant déjà des cils presque aussi longs qu'une petite fille. Marthe lui dit bonjour avec un sourire, ravie de tenir enfin son arrière petit-fils dans ses bras. Il faudra aller voir un photographe afin de réaliser un portrait de cet enfant, en bonne et dû forme, d'abord seul puis dans les bras de son père. Le monde courait sans attendre et de nouveaux bébés venaient au monde, remplaçant les anciennes générations et poursuivant cette marche entamée depuis bien des siècles, des millénaires, une marche qui ne cessera qu'avec la fin de ce monde ou la fin de leur espèce. C'était un matin morose, il était encore très tôt et un calme inhabituel régnait dans la grande école. Marthe se retourna, portant l'enfant et marchant un peu dans la pièce. La pluie tombait avec régularité, peu forte mais suffisamment pour brouiller la vision de celui qui voudrait observer les paysages de Franche-Comté.

Elle avait appris le décès du jeune homme, hier dans l'après-midi, alors qu'elle contactait son petit-fils au téléphone. Un nouveau drame, après les disparitions brutales d'autres élèves, l'année précédente, dont les journaux avaient fait des gorges chaudes. A la fois privé de l'amour et d'une famille et ses proches, ses amis, comment cet enfant aurait-il pu imaginer un avenir ... ? La solitude était une des souffrances les plus terribles que l'on puisse envisager, ne pouvait pas vivre celui qui était isolé. Même si vivre entièrement seul, coupé de la communauté, était possible, personne ne le voudrait. On ne pouvait qu'espérer que ce jeune garçon, là où il se trouvait aujourd'hui, avait une vie meilleure, auprès de Dieu et de tous ses anges. Debout près de la fenêtre, Marthe berçait le bébé tout en regardant la pluie ruisseler sur la vitre, adressant une prière au ciel pour l'âme de cet enfant, qui n'avait pas eu le temps de vivre. Puisse-t-il trouver la paix dans la mort. Baissant la tête sur le bébé, elle lui caressa la joue du bout des doigts, souriant lorsqu'il referma son poing sur son doigt. C'était pour eux qu'il fallait s'accrocher et continuer à vivre. Pour tous ces enfants, ces petits anges qui empruntaient à leur tour le chemin de la vie. C'était pour eux qu'il fallait se battre dès que la situation l'exigeait, vers eux qu'il fallait tendre la main, pour eux qu'il fallait toujours sourire et rire.

– Ton enfant est magnifique, dit-elle à Adrien en tournant la tête vers lui.

Il pouvait être fier d'être à présent responsable de cet petit bout, il saura sans aucun conteste être un bon père pour lui. Marthe le regarda s'endormir, tout en continuant à le bercer, comme elle l'avait fait avec ses quatre enfants, à un temps où aucune ride ne marquait encore son visage, où elle pouvait courir longuement sans s'essouffler, où la fraîcheur de la jeunesse se reflétait dans son regard vif, ses cheveux encore noirs et la vitalité que lui donnait son âge. Les enfants sont un bien précieux, les adultes ne s'en rendent compte que lorsque eux-même se retrouvent en charge de leur éducation et de leur départ dans cette vie. Un enfant représente la continuité de la vie. Aux yeux de Marthe, rien ne pouvait plus combler un couple heureux que de voir leur enfant marcher sur leurs pas puis devenir à son tour un adulte épanoui. Tout le monde n'était pas fait pour être parent, certes, mais un enfant restait un trésor unique.

– On ne peut toujours empêcher ce qui va arriver, sais-tu. Ce jeune garçon souffrait de solitude, l'un des pires maux de cette Terre. Tu sais toi aussi à quel point cette douleur était profonde, il n'aurait pu en guérir si ses amis s'étaient éloignés de lui et si sa famille ne se préoccupait pas de ce qu'il devenait. Nous devons espérer qu'il soit plus heureux auprès de Dieu.
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Adrien de Sora
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Adrien de Sora
MessageSujet: Re: Un monde troublé   Un monde troublé EmptyLun 30 Mai - 14:13

Le corps du petit avait été emmené à la morgue, la famille contactée. Adrien s’appuya des deux mains sur la table pour reprendre son souffle, puis se redressa, avalant d’un seul coup tout le contenu de sa tasse de thé. Le liquide lui brûla un peu la gorge au passage, si chaud dans son corps glacé, lui arrachant un frisson. Il avait examiné le corps d’Alexis… Il n’aurait guère survécu, même si on l’avait retrouvé très vite, encore conscient, il s’était fait des entailles trop profondes, aux deux bras, alors qu’il était déjà très affaibli de base. La mort avait dû le prendre si vite… Il remit de l’eau à chauffer pour refaire du thé, se contrôlant pour ne pas trop trembler. Sa grand-mère était occupée à bercer Maxime, debout près de la fenêtre. Il avait été très surpris et un peu choqué de la voir, bien qu’il en soit heureux. Elle était l’une des rares, dans sa famille, qu’il aimait vraiment. Bientôt, il reverra tout le monde, ce qu’il n’avait pas spécialement hâte. Il prit puis lava les tasses, respirant doucement et profondément pour chasser la nervosité. Tout ira bien... Les mains plongées dans l'eau chaude, il sortit les tasses puis prit un torchon pour les essuyer, le cœur lourd. Même en ne connaissant pas bien Alexis, il s'agissait tout de même d'un enfant qui était parti très jeune, donc le vide était bien présent. Cela, Adrien connaissait bien. Le creux. Le vide. L'absence. Le non-sens de la fin de la vie. Lorsque tout était terminé, on se demandait à quoi tout cela avait servi, si cela en avait valu la peine, ce qui allait rester de nous, ce qu'on avait pu réaliser avant la fin. La mort rendait tout absurde.

– Ton enfant est magnifique, dit-elle à Adrien en tournant la tête vers lui.

Le docteur eut un maigre sourire, levant le regard vers sa grand-mère et son fils, toujours occupé à essuyer une tasse qui était maintenant parfaitement sèche, s'occupant ainsi les mains. Il y avait au moins ça qu'ils pouvaient laisser derrière eux... Un devoir accompli, des enfants, une oeuvre artistique, des "traces" qu'ils avaient foulé ce monde. Hélas, cela ne concernait que ceux qui avaient pu vivre assez longtemps pour cela. Alexis était parti trop jeune... Enfin, si, il avait laissé plusieurs choses derrière lui. Ils avaient découvert, en rangeant ses affaires, des centaines de dessins au crayon à papier, tous particulièrement beaux, bien que la plupart dégagent une certaine angoisse et de la tristesse. Des dessins grands ou petits, des paysages, des portraits, des scènes de la vie quotidienne, des paysages imaginaires, des croquis dans plusieurs dossiers et cartons, certains datant des sept ans du jeune garçon, il avait eu un réel talent pour cela. Monsieur et madame Robert n'ayant pas voulu emporter ça, même pour les donner à la petite sœur d'Alexis, tout était resté dans la réserve de l'école, sans que personne n'y touche. Adrien se demandait à qui les transmettre, n'aimant pas l'idée que tout reste entassé dans la réserve, c'était une part de la mémoire d'Alexis. Pourraient-ils les offrir au jeune Lucas ? Il y avait même des dessins de lui. Il en parlera avec la directrice. Reposant les tasses, Adrien essuya aussi les cuillères, mettant la boîte de feuilles de thé au centre de la table.

– On ne peut toujours empêcher ce qui va arriver, sais-tu. Ce jeune garçon souffrait de solitude, l'un des pires maux de cette Terre. Tu sais toi aussi à quel point cette douleur était profonde, il n'aurait pu en guérir si ses amis s'étaient éloignés de lui et si sa famille ne se préoccupait pas de ce qu'il devenait. Nous devons espérer qu'il soit plus heureux auprès de Dieu.

– Je sais qu'on ne peut pas tout empêcher, en revanche... Peut-être que nous aurions pu agir encore plus pour l'aider, répondit-il d'un ton sombre. J'ai tout fait pour le faire placer dans une famille d'accueil, sans succès. Il n'était pas frappé ni sous-alimenté, le tribunal ne pouvait donc poser aucune sanction contre les parents.

Adrien soupira encore plus fort et reposa les cuillères sur la table, inspirant par le nez, le souffle un peu raide. A quoi bon, à présent ? Ils n'avaient pas pu agir efficacement et il était bien trop tard, aujourd'hui, pour réfléchir à ce qui aurait pu être fait ou non. Même s'ils trouvaient des idées, se disaient qu'ils auraient pu faire ceci ou cela, à quoi bon aujourd'hui ? Le petit avait fermé les yeux à jamais. On pourrait penser qu'il était plus heureux auprès de Dieu, oui... Adrien n'y croyait pas. Il en avait vu assez pour ne plus croire à l'aura bénéfique d'un Dieu veillant sur les hommes et ne pensait pas non plus que la mort puisse soulager un enfant qui était parti si accablé. La petite Emilie avait-elle trouvé le réconfort dans la mort ? Non, elle était restée là, le cœur trop lourd pour s'envoler vers le ciel, le regard éteint et errant sans trouver le moindre repos. L'infirmier soupira encore puis versa l'eau bouillante sur les feuilles de thé, loties au fond des tasses bleues et noires qu'il venait de laver. Maxime s'était doucement endormi dans les bras de son arrière grand-mère, encore innocent des malheurs qui pouvaient l'entourer et n'ayant pas encore la notion de souffrance et de mort. Il représentait la vie, un nouvel espoir, une toute nouvelle génération. Il n'y avait bien que cet enfant pour redonner le sourire à l'infirmier.

– Donc, grand-mère, tu es venue pour t'installer à Gray et travailler ? Du boulot, tu risques d'en avoir pas mal, il y a tellement de personnes dans le coin qui ont besoin d'un bon psychologue. Il y a un mois ou deux, j'aurai moi-même fait un excellent patient pour toi.

Un petit rire nerveux lui échappa et il l'invita à venir prendre le thé, maintenant que Maxime s'était rendormi. Sortant aussi des petits chocolats et des biscuits, dans une autre boîte en fer, il en grignota un et s'assit à table, mettant un sucre dans sa tasse d'une main tremblante.

– Parfois, j'ai peur de l'avenir, murmura-t-il en regardant sa tasse. Qu'il arrive des soucis encore plus graves ou qu'il y ait la guerre. Les extrémismes montent de partout, l'Allemagne promulgue de plus en plus de lois racistes, il y a des tensions partout, les dons sont de plus en plus rejetés, les gens ont peur. Où penses-tu que tout cela puisse nous mener ?
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Anonymous Invité
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MessageSujet: Re: Un monde troublé   Un monde troublé EmptyDim 19 Juin - 12:24

– Je sais qu'on ne peut pas tout empêcher, en revanche... Peut-être que nous aurions pu agir encore plus pour l'aider, répondit-il d'un ton sombre. J'ai tout fait pour le faire placer dans une famille d'accueil, sans succès. Il n'était pas frappé ni sous-alimenté, le tribunal ne pouvait donc poser aucune sanction contre les parents.

Tout le problème était là, il n’y avait aucun recours juridique dans des situations telles que celle-ci. Bien entendu, on ne souhaitait pas à un enfant d’être frappé pour qu’il soit placé en foyer, en revanche, il était désastreux qu’il n’y ait rien de prévu pour un enfant délaissé, malmené ou presque abandonné par sa famille. Adrien avait bien de quoi être désespéré, il était trop tard pour faire marche arrière aujourd'hui. Pourtant, aucun d'entre eux n'avait le luxe de se laisser aller, la vie ne souffrait pas qu'une personne s'arrête ainsi en cours de route, il fallait continuer à marcher, quoi qu'il arrive, il était impossible de prendre une pause. Pour eux-mêmes et pour les petits de la nouvelle génération, comme Maxime. Son arrière grand-mère baissa le regard sur lui, observant ce toute petit enfant qui s'était endormi, un petit bout de sa peluche dans la bouche. Tout ira bien... Ils devaient faire en sorte d'améliorer les choses, pas de se laisser malmener en pleurant sans jamais redresser la tête. Même si un enfant était parti aussi jeune, il fallait poursuivre. Marthe ramena la couverture sur le bébé pour le protéger du froid et de l'humidité, déposant un doux baiser sur son front. Elle ne croyait pas au fatalisme, il existait toujours une façon d'arranger la situation, il suffisait simplement d'y croire et de s'y accrocher de toutes ses forces.

– Donc, grand-mère, tu es venue pour t'installer à Gray et travailler ? Du boulot, tu risques d'en avoir pas mal, il y a tellement de personnes dans le coin qui ont besoin d'un bon psychologue. Il y a un mois ou deux, j'aurai moi-même fait un excellent patient pour toi.

Allons, il y avait eu beaucoup d'améliorations, tout de même, il ne devait pas se dénigrer ainsi. Il lui annonça que le thé était prêt, si elle voulait venir s'asseoir. La vieille femme alla déposer le petit dans son berceau, avec un très grand soin, se penchant pour bien l'allonger sur le matelas recouvert d'un drap blanc moucheté et le garder au chaud. Dors, petite cœur, profite de tes doux rêves d'enfants, avant d'être emporté dans la valse de ce monde de violence et de folie. S'assurant qu'il s'était bien endormi et ne risquait pas de s'étouffer avec quoi que ce soit, que sa peluche n'était pas trop près de sa bouche, elle alla s'installer à table avec son petit-fils, le remerciant pour le thé. Elle mit une cuillère de sucre roux dans son thé, jugeant qu'il adoucissait le côté amer du thé ou du café, touillant en grignotant un petit biscuit. Son petit-fils était toujours assez mal, ce qui était assez logique, somme toute. Le temps d'un deuil était plus ou moins long selon les personnes, certaines, même, n'y parvenaient pas de leur vie toute entière. On en pouvait pas juger cela, personne ne gérait la douleur de la même façon et il y avait des personnalités plus fragiles que d'autres.

– Parfois, j'ai peur de l'avenir, murmura-t-il en regardant sa tasse. Qu'il arrive des soucis encore plus graves ou qu'il y ait la guerre. Les extrémismes montent de partout, l'Allemagne promulgue de plus en plus de lois racistes, il y a des tensions partout, les dons sont de plus en plus rejetés, les gens ont peur. Où penses-tu que tout cela puisse nous mener ?

– Je ne pense pas qu'on puisse vraiment écarter à jamais la menace d'une autre guerre, même en voulant être un minimum optimiste, répondit Marthe en touillant son thé avec lenteur. Peut-être pas une guerre de la même ampleur que celle de 1914, je ne veux pas songer à ce genre d'horreurs. En revanche, qu'on en arrive à des gouvernements plus racistes et extrêmes, ici ou ailleurs, c'est tout à fait envisageable. Notre Président actuel ne peut rien contre la montée des tensions, dans toute la France, l’antisémitisme est très présent. Tu ne le vois sans doute pas tant que cela ici, cette école est Catholique, pourtant je peux assurer que c'est le cas partout en France. La propagande fait bien son travail.

Bien que ce ne soit pas aussi marqué en France qu'en Allemagne, ce n'était guère plus qu'une question de temps. Marthe soupira un peu en buvant une gorgée de thé, encore un peu trop chaud, le reposant sur la coupelle puis mangeant le reste du biscuit. Allait-on véritablement en arriver à une nouvelle guerre avec l'Allemagne ? C'était possible... Dans leur propre pays, le gouvernement était agité et malmené, nul doute qu'ils en arriveront très vite à changer une nouvelle fois de Président. Les journaux contribuaient également à soulever et agiter les tensions, on pouvait voir des campagnes de propagande tous les jours, toujours plus violentes et virulentes. L'école, ce pensionnat, était aussi très régulièrement attaqué, car comme l'avait soulevé son petit-fils, les dons posaient eux aussi un très gros problème à la population, qui réclamait de la stabilité et du rationnel.

– Ce qui m'a surtout inquiétée est de constater à quel point cette école est attaquée à la fois dans les médias et divers groupes de tout bord, que ce soit dans le gouvernement ou ailleurs, poursuivit-elle avec un air plus sombre. Sais-tu que beaucoup ont pensé à des manifestations ici-même, à occuper l'école ou envoyer des casseurs, ce genre de choses ? Il y a eu de très nombreuses propositions dans le même style. Toutes ont été rejetées pour deux raisons principales. La présence de l'armée et la présence de votre directrice.

Son petit-fils lui lança un regard assez choqué, répétant "des casseurs ?", d'un ton soufflé. Marthe hocha la tête en buvant son thé, soufflant un peu dessus. De ce côté-là, cependant, les enfants pouvaient être rassurés, personne n'osait encore. L'armée était assez dure mais elle protégeait tout de même les enfants, que ce soit volontairement ou non, très peu de personnes avaient une idée de la haine véritable contre les pouvoirs et dons dans ce pays. La situation n'avait fait qu'empirer, ces derniers mois, la peur et la colère s'alimentant l'une et l'autre et jetant leur dévolu sur cette école qui représentait à elle seule tout ce que la population haïssait.

– Lisez les journaux, c'est de plus en plus visible. L'armée protège cette école malgré tout. Peu importe leurs raisons, les soldats sont moins un danger, aujourd'hui, que la haine brûlante de la population contre ce genre de pouvoirs. Il peut arriver, tôt ou tard, des attaques frontales contre cette école. Existe-t-il des endroits où cacher les enfants ?
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Adrien de Sora
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Adrien de Sora
MessageSujet: Re: Un monde troublé   Un monde troublé EmptyJeu 7 Juil - 20:03

– Je ne pense pas qu'on puisse vraiment écarter à jamais la menace d'une autre guerre, même en voulant être un minimum optimiste, répondit Marthe en touillant son thé avec lenteur. Peut-être pas une guerre de la même ampleur que celle de 1914, je ne veux pas songer à ce genre d'horreurs. En revanche, qu'on en arrive à des gouvernements plus racistes et extrêmes, ici ou ailleurs, c'est tout à fait envisageable. Notre Président actuel ne peut rien contre la montée des tensions, dans toute la France, l’antisémitisme est très présent. Tu ne le vois sans doute pas tant que cela ici, cette école est Catholique, pourtant je peux assurer que c'est le cas partout en France. La propagande fait bien son travail.

On se croirait revenu en 1914... Adrien trempa son biscuit dans son thé puis ajouta un peu de sucre dedans, grignotant le biscuit avec lenteur. La montée de l'antisémitisme, il en avait un peu entendu parler au village, une famille Juive venait de quitter Gray et avait, selon les rumeurs, fait voile vers l'Amérique du Nord, le Canada ou les Etats-Unis. Ils ne pouvaient pas faire grand-chose, de toute manière, sinon espérer que tout se passe au mieux possible et que la situation ne vire pas trop au vinaigre, même si c'était mal parti. Il y avait tant de rumeurs qui circulaient qu'on ne savait plus ce qui était crédible ou non, tant de choses incroyables pouvaient arriver sans crier gare. Il était déjà arrivé tant de choses, les limites étaient sans cesse repoussées, qu'on finissait par craindre réellement que les pires ragots ne deviennent une réalité. Restant silencieux, il se brûla le bout de la langue avec son thé, grimaçant légèrement et reposant la tasse. Il avait encore un peu de mal à apprécier le goûts des aliments et des différents thés. L'alcool avait comme anesthésié son palais et son goût, depuis qu'il avait arrêté, il retrouvait avec lenteur le goût véritable de ce qu'il avalait. Il se gratta un peu le menton, couvert par une barbe naissante qu'il laissait pousser.

– Ce qui m'a surtout inquiétée est de constater à quel point cette école est attaquée à la fois dans les médias et divers groupes de tout bord, que ce soit dans le gouvernement ou ailleurs, poursuivit-elle avec un air plus sombre. Sais-tu que beaucoup ont pensé à des manifestations ici-même, à occuper l'école ou envoyer des casseurs, ce genre de choses ? Il y a eu de très nombreuses propositions dans le même style. Toutes ont été rejetées pour deux raisons principales. La présence de l'armée et la présence de votre directrice.

Des casseurs ? L'infirmier répéta le mot avec un air passablement choqué, la main serrée sur l'anse de sa tasse de thé. Sa grand-mère confirma en hochant la tête, soufflant sur son thé pour le refroidir un peu. Pour la directrice, que sa présence en dissuade beaucoup, c'était compréhensible. Même fatiguée ou blessée, les gens avaient peur d'elle et craignaient son pouvoir, elle en repoussait beaucoup. L'armée... C'était à la fois drôle et inique de se dire qu'elle en arrivait vraiment à protéger les élèves de cette école ! Pour les manifestations ou ce genre de choses, c'était prévisible, il y en avait déjà eu et il y en aura encore. Adrien soupira un peu, faisant tourner sa cuillère entre ses mains à grande vitesse. Si l'armée aidait aussi, la directrice pourra s'appuyer dessus pour protéger l'école, n'est-ce pas ? Il ne lui enviait pas la pression incroyable qu'elle devait porter sur les épaules, avec le nombre de personnes comptant sur elle en plus des responsabilités qu'elle devait assumer. C'était... assez énorme, lorsqu'on y songeait bien, pas étonnant que son corps ait lâché comme ça. Et comme pour en rajouter, avec ces dernières nouvelles et la mort d'Alexis, la période de repos était déjà finie, elle aurait à peine pu prendre un mois pour rester chez elle et rattraper tout le sommeil en retard.

– Lisez les journaux, c'est de plus en plus visible. L'armée protège cette école malgré tout. Peu importe leurs raisons, les soldats sont moins un danger, aujourd'hui, que la haine brûlante de la population contre ce genre de pouvoirs. Il peut arriver, tôt ou tard, des attaques frontales contre cette école. Existe-t-il des endroits où cacher les enfants ?

– Les sous-sols, oui, ils sont assez grands et ont peut enlever ce qui condamne certains passages pour gagner de la place. Sinon, il y aussi la forêt, la traverser est long mais faisable, ils pourraient fuir de ce côté.

Adrien but une longue gorgée puis s'étira doucement dans son siège, avec la curieuse impression de nager dans un océan de coton. Ce n'était peut-être que la fatigue... On aurait presque dit qu'il était encore soûl et n'avait plus le contrôle de ses sens. Le mois de septembre avait été assommant, trop de choses en même temps, trop d'agitation, trop de stress, trop de peur, trop de tension. Ils étaient rentrés depuis un mois et il avait l'impression que cela faisait déjà un an. Entendant Maxime gémir de plus en plus fort puis commencer à pleurer en s'agitant dans son berceau, le jeune père repoussa sa tasse puis se leva, allant prendre son bébé pour le câliner et le bercer. Il le prit tout contre lui et l'embrassa sur le front. Il n'y avait visiblement pas besoin de changer sa couche, il avait dû faire un cauchemar. Revenant s'asseoir, il continua de bercer Maxime qui baillait à s'en décrocher la mâchoire, faisant fondre son père en un seul instant. Il tenait à rester un minimum positif, pour ne pas faire subir à son bébé l'ambiance déprimante du moment. Ils pouvaient ressentir cela, même si jeunes, les enfants étaient de véritables éponges aspirant l'humeur de leurs parents.

– Des manifestants ou casseurs seraient sans doute déjà venu sans la directrice ou les militaires, c'est vrai. Ironique que l'armée en arrive vraiment à protéger les élèves. Bon... Il y a une chose dont je voulais parler avec toi, c'est un peu délicat... Penses-tu que... Je devrai divorcer avec Sarah ?
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MessageSujet: Re: Un monde troublé   Un monde troublé EmptyMer 13 Juil - 19:39

– Les sous-sols, oui, ils sont assez grands et ont peut enlever ce qui condamne certains passages pour gagner de la place. Sinon, il y aussi la forêt, la traverser est long mais faisable, ils pourraient fuir de ce côté.

Envoyer des enfants en pleine forêt ? Hum… Sans doute était-ce toujours moins dangereux qu’une foule déchaînée, ils pouvaient faire fuir les animaux agressifs avec leurs dons. Quant aux sous-sols, s’ils étaient assez vastes et tortueux, pourquoi pas ? Marthe hocha doucement la tête en touillant son thé, buvant une petite gorgée très chaude, après avoir soufflé dessus. Pourquoi pas, oui… L’idée qu’on puisse s’en prendre ainsi à des enfants était terrible mais bel et bien réelle. La vieille femme en avait le cœur serré, ne pouvant comprendre un tel déferlement de haine. Elle y songea pendant que son petit-fils allait chercher son bébé dans son berceau, le regard dans la vague. Des horreurs, on pouvait dire qu’elle en avait connu et vu, et pas des moindres. La Grande Guerre n’avait pas été une promenade de santé, même pour ceux qui n’étaient pas sur le front, le pays devait contribuer à l’effort de guerre. Adrien revint s’asseoir avec son enfant dans les bras, le berçant avec douceur. Il n’était jamais facile de se relever, pourtant, il le fallait. Certains s’appuyaient sur leurs proches, d’autres sur une passion, certains étaient poussés par une volonté de fer ou un instinct de survie particulièrement puissant, quelques uns se servaient d’un moral solide, souple ou adaptatif, selon les cas. Il existait tant de moyens de se remettre, dès lors qu’on réalisait qu’il fallait avancer, à moins de simplement se laisser mourir là où se trouvait. La vie ne tolérait pas de pause, il fallait soit continuer, soit y rester.

– Des manifestants ou casseurs seraient sans doute déjà venu sans la directrice ou les militaires, c'est vrai. Ironique que l'armée en arrive vraiment à protéger les élèves. Bon... Il y a une chose dont je voulais parler avec toi, c'est un peu délicat... Penses-tu que... Je devrai divorcer avec Sarah ?

– Hum… souffla-t-elle. Honnêtement, je n’ai jamais vraiment apprécié cette femme, cela dit, je ne la connais sans doute pas assez pour juger et me faire une opinion définitive. Je pense surtout qu’elle a eu de très gros soucis psychologiques et tu sais tout comme moi qu’il n’est pas facile de s’en sortir, une fois que la personne a glissé un doigt dans l’engrenage. Ne pense pas tout de suite au divorce, attend de voir comment la situation va pouvoir évoluer. Elle a été placé dans un asile, n’est-ce pas ? Elle y verra des psychologues et aura un suivi médical, ça ne peut être que bénéfique pour elle.

Marthe but deux gorgées de son thé, reprenant un petit biscuit ensuite, en faisant signe à son petit-fils de boire, lui aussi, il en avait bien besoin. Du temps, voilà ce qu’il fallait en priorité, du temps et de gros efforts, de la part de chacune des parties, pour que la situation puisse aller en s’améliorant.
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